BEVUE DES DEUX MODES. brillant de la constellation, il saurait produire des ceuvres qui ne feraient pas injure hce grand maitre ; mats Beausite, renonc(!  recevoir des (!lves, n'avait pas cru devoir faire excep- tion en faveur d'un jeune homme inconnu et sans appuis. Beausite n'(![ait pas bienveillant : la seule fois qu'une pein[ure de Campion lui tomba sous les yeui, il laissa choir une pigramme qui fit le tour de Paris, mats qui frappa surtout sa victime par son manque absolu de .iusiesse. Si Campion avait continu(! d'admirer les tableaux de Beau- site, il aurait oubli(! la malveillance du grand homme et mme son d(!faut de sens critique. Seulement,  mesure que les conviciions personnclles du jeune peintre se ddveloppaient, il s'apercevait que son idole n'en avait aucune, et que l'(!blouis- sante maestria qui enveloppait encore ses ouvrages n'dtait que rayonnement d'un astre mort. PrOs de trente ans avaient passd. La gloire de Beausite n'(!tait plus qu'un souvenir et le d(!butant dont i| s'(!tait moqud tenait sa place dans la faveur du public. La plupart des gens qui assidgeaient l'a[elier de Campion, s'ils appartenaient au genre qu'il aimait le moins  peindre, dtaient en gdndral de ceux qui ont le moyen de payer les plus hauts prix; et l'artiste avait eu rdcemment d'imp(!rieuses raisons de gagner autant d'argent que possible. Il s'dtait donc arrangd, depuis deux ans, pour qu'il ffit trs difficile et tris cher d'  avoir son portrait par Campion. )) Cette lourde journde de juillet avait vu ddfiler chez lu une foule de suppliants d'une espce habitu(!e n'attendre le bon plasir de personne et qui, ccpendant, avaien! retardd leur de!part pour les eaux, parce qu'on savait qu'l fallait accepter les conditions du maitre ou s'adresser ailleurs. Jamais sa besogne ne l'avait autant ennuydi plus il enreo gistrait de leurs sots visages, et plus la tfiche lui devenai! odieuse. Pourtant, dans les deux ou trois derners jours, un nouvel dldment d'int(!rt avait apport(i quelque variOd dans la monotonie de son travail. Cet dl(!ment (!fair dfi  ce qu'il appe- lair ( le trac de la guerre; )) il consstait dans l'effet produit sur les traits de sos modules et de leurs amis par le pressenti- ment que quelque chose d'inconnu, d'incompr(!hensible et de pdnible pourrai[ troubler sous peu le cours r(!gulier de leurs plaisirs. Pour sa part, Campton, selon l'expression courante,  ne 0 REVUE DES DEUX MONDES. en constatant.que le gofit nouveau dont le millionnaire venait .de se prendre pour la bibliophilic, avait dveill.d chez son-beau- ..ills le gofit de la lecture. .: .,-: .., Depuis ce.jour, le pire et le ills s'dtaient compris. L'initiation leur etait venue par des voies diffdrentes,, mais leur enthou- siasme pour routes les .manifestations de la beaut(! avait la mme source. Le monde ext(!rieur et sa transposition dans un art ou dans l'autre devinrent d(!sormais entre eux le sujet d'interminables discussions; et Campion, avec un int(!rt pas- sionn(!, voyait son tils s'assimiler, grace aux livres, ce qu'il avait atteint, lui, grace au pinceau. Ils avaient (!td s(!pards souvent et longuement. D'abord par l'ducation de George dans un collbge anglais, puis par son service militaire en France, qu'il avait fair t dix-huit ans pour hfter son entr(!e b. Harvard; enfin par son s(!jour t cette Universit(!. Mais chaque fois qu'ils se retrouvaient ensemble, et si longue qu'efit did la s(!paration, les dix premibres minutes suffisaient t la combler. Aussi bien, depuis que George (!tait majeur et libre de ses mouvements, il avait donn t son pbre tout le temps dont il disposait. Ses (!tudes t Harvard avaient (it(! interrompues au bout de deux arts par la maladie qui avait ndcessit! son ddpart imm!- diat pour l'Engadine. Il (tait revenu complbtement gu(!ri et, selon son propre d(!sir, il (!fair retournd t Harvard terminer ses (!tudes et passer son examen. Ce but atteint, il venait de rejoindre son pbre pour de longuesvacances, avant d'entrer dans la banque Bullard et Brant, t New-York. A voir son ills si calme, Campton se demandait s'il n'avait pas r(!solu la question d'avance par la certitude qu'il ne serait pas trouvd bon pour le service. D'ailleurs, George ne se faisait pas faute de d(!clarer qu'une guerre serait, en plein xx e sicle, une absurdit(i trop monstrueuse pour qu' la dernire minute quelque chose ne vint pas l'emp6cher. Ce bel optimisme ne suffit pas . rassurer Campion. --Ce n'est pas l'avis de Dastrey, dit-il; d'apris lui, rien ne ne peut emp6cher la guerre. Le jeune homme sourit : il avait de l'affection pour Dastrey. -- Ce cher vieux Dastreyl Vois-tu, cette gdn(!ration d'aprbs Sedan, elle a dans le sang l'id(!e que la guerre est in(!vitable. Notre mani/re-de voir  nous est forc6ment diff(!rente; .. UN FILS AU FRONT.. nous o.m.me.s internationaux, que nous le voulions ott.non. ---Bien stir, puisque nous.n'avons ni l'un ni l'autre une goutte de sang fran(ais dans les veines : il.nous est impossible de nous rendre un eompte exact de ce que les Fran(;ais sentent en pareille matiire. George le regarda affeetueusement.: --Ce n'est pas eela que je voulais dire. Je prends le mot ,, nots , dans le sens de , ma gdndration,   quelque pays qu'elle appartienne. Je connais des Fran(ais qui sentent comme mot, -- le jeune Louis Dastrey, le neveu de ton ami, entre autres, et puts.des tas d'Anglais, lls ne croient pas que le monde puisse jamais se re!soudre t-une guerre, nouvelle. Ce serait trop absurde, au point de vue !eonomique d'abord ; tu as lu Angell, je suppose ? Et puts, la vie a trop de valeur et, de nos jours, trop de. gens en eonnaissent le prix. On ne voit pas tout ce qui a vraiment de l'importance, -- l'art, la science, la po(sie,- r(!duit en miettes au este que peut faire quelque diplomate en d(imence ? C'(!tait bon autrefois, quand le meilleur de l'existenee, pour l'immense majorit(!, n'(!|ait qu'(!pid(imies, pestes et famines. Aujourd'hui, les gens sont trop bien portants, trop bien nourris: ils n'ont pas envie d'aller erever dans un foss(i pour obliger qui que ce stir. Campton d(!tourna les yeux. Son regard, errant sur la foule, tomba sur le lourd visage de Fortin-Lescluze, assis au milieu d'un groupe d'hommes  l'autre extr(!mit(! du jardin. Comment n'avait-il pas encore songd que, s'il y avait un itre au monde capable de faire r6former George, e'(itait le grand sp(icialiste qui l'avait soign(i? , Si j'allais le trouver, pensa-t-il, et lui annoncer que je vats faire le portrait de sa danseuse?  I1 se leva et se fraya un passage  travers les tables. Fortin-Leseluze dinait avee des journalistes et des hommes politiques. Pohr arriver jusqu';a lui, Campton dut passer tout contre une atre table, oh une femme blonde, d'une beauti fande, tait assise auprs d'un vieillard coiffd d'une tante crinire de cheveux blanes et portant la rosette de la Lgion d'honneur. Campton s'inelina; la dame dit quelques mots  l'oreille de son compagnon, qui r(!pondit machinale- ment par un grand salut. Pauvre vieux Beausite, rduit t diner en tte a tte avee sa femme, envers laquelle il avait eu rant do torts, inlassablement pardonn!s, saluant les gens quand elle George avait r(ipandu le contenu de ses poches. Le regard de Campton, s'attardant avec une tendresse nouvelle sur tout ce qui appartenait k son ills, tomba sur un 6lggant poriefeuille en antilope (George avait le mgme" gofit que sa m/re,pour les der- ni/res nouveaut(is de Bond Street), sur le bracelet-montre, les boutons de manchettes, un paquet de billets de banque, et aupr/s:d'eux un carnet jauntre, fatigu6 et sali, de la faille d'un grand agenda. Un moment il se demanda ce que c'!tait ; puis il se souvint. Il avait une fois vu le petit-ills de M " Lebel en tirer un pareil de sa poche quand il parfait faire ses vingt-huit jours. C'6tait le livret militaire que posside tout citoyen fran(:ais fig(i de moins de quarante-huit ans. . Campton n'avait jamais prgt6 grande attention aux rigle- mcnts militaires fran(ais ; le service de George terrain(i, il n'y avait plus du tout pens(i, oubliant que son ills 6tait encore soldat, li! au sort de la France aussi (iiroitement que l'6tait le petit-ills de sa concierge. II s'avisa que le carnet jaunhire r(ipondrait aux questions qu'il n'avait pas os(i formuler, ltant entr(i sans bruit dans la chambre, il s'empara du livret et le rapporta au salon. D'abord le nom de George, son domicile, son grade de mari- chal des logis, le num(iro du r(igiment de dragons auquel il appartenait et son d6pbt. Tout cela, il le savait. Mais que portait la page suivante ? En cas de mobilisation portde  la connassance des popula- tions par vole d'a[fiches, le porteur du prdsent ordre se mettra en route, sans attendre aucune notification individuelle et en se con[ormant aux prescriptions suivantes : Ce militaire voyagera 9ratuitement. Il emportera des vivres pour un jour. " ,,ll se prsentera  la station de X..., le troisime jour de la mobilisation avant 6 heures et prendra le train que lui indi- quera le che]  de gate. . Les jours de mobilisation sont compts de 0 heure  4 heures. Le.premier jour est indiqu par l'ordre de mobilisation... Eampton laissa tomber le livret et se prit les tempes entre les mains. Si done la France mobilisait ee jour-lh-, George patti,fair dans deux jours, k six heures du matin. Peut-gtre dans quarante-huit heures, George l'aurait-il quitt I UN FILS AU FRONT. --Cettc lois, dit-il, c'est la guerre. --La mobilisation n'est pas la guerre, rdl)artit Campion. Mais, bon Dieu, qu'est-ce que c'est que tous ces livros? --Des provisions. Je viens de rencontrer un camara&, de rdgiment. II parait que nous pouvons moisir au (l:pSt pendant des semaines. Le calme de George, son sarig-froid devant l'universcl bouleversement impressionnrent Campion.  Est-ce qu'ils ont des nouvelh, s?... hasarda-t-il. Ils, pour tous deux, c'dtaient les Brant.  Des tas! L'oncle Andy en dtait farci... Mats au total peu (le chose.  Et l'Angleterre ? --Personne ne salt; pout'taut les banquiers ont l'air de croire qu'on peut comptcr sur elle. George finit par ajouter : -- Dis donc, mon vieux papa, je crois qu'avat de s'en aller, maman voudrait te voir. Campton se rebiffa : -- Elle m'a ddji vu hier. --Je sais. Elle me l'a dit. Et il se,mit h couper les pages d'un de ses livrcs avec une carte de visite ramassde sur la table, cependant que son pbre restait i regarder la place de la Concorde h travers les arbustes de la terrasse. Campto)n savait qu'il ne pouvait repousser la requ6te de son ills; mats comment aurait-il pu rdprimer un mouvement de rdvolte devant un appel ou une prol,osilion des Brant ? 11 songea k l'union qui paraissait rdgner dans le mdnage Fortin-Lescluze, et  l'atmosphbre paisible de vie familiale qui se ddgageait du groupe rduni autour de la nappe h carreaux. 5'dtait-ce pas li un des avantages d'une organisation sociale qui, somme route, n'admet pas le divorce, et juge le pardon secret de l'infiddlitd prdfdrable h la ddsagrdgation de la famille? -- C'est convenu, dit-il, j'irai... Et nous, ce soir, off dine- rons-nous 9. --Ahl j'oubliais, une folle orgie. Ton ami Dalrcy compte sur nous h l'Union. Son neveu Louis dine avec lui, et il m'a permis d'amener Boylston. --Qui est Boylston? BEVUE DES DEUX MONDES. la table.., C'est la'm6me--qui-'-se vhntait:'i.rogamment de ses aieux devant Louis XIV, qu'elle affeclait de considdrcr comme un parvenu : ,( Nous autres, lui disait-elle,-nous dtions rots dans nos provinces. Nous avions aussi nos grands officiers, des gentilshommes autour de nous...  I1 faut avouer que, dans ces momentS-lh, le Roi-Soleil ddpouillait compltement ses rayons. I1 redevenait le bon garon-qu'il avait dtd dans son adolescence et sa pre.mire jeunesse. Au fond,- nous l'avons dit, et il faut y insister, --c'dtait un dgalitaire. II trouve fort mauvais que de jeunes abbds, ills de famille, aient la prdtention d'6tre, d'cmblde, dv6ques, alors que des gentilshommes du meilleur lignage ne dddaignent point d'6tre simples soldats et de porter le mousquet dans sa garde. St, pour des raisons de discipline, il tient aux titres et aux formules protocolaires, comme h l'dtiquette, il n'en est point dupe et il ne veut pas qu'on en abuse. M m de Maintenon nous rappelle qu'il fit dlever le Dauphin aussi simplement qu'un jeune bourgeois de Paris. I1 ddfend qu'on lui donne du ( Monseigneur )) dans l'intimitd. (-En discours familier, nous rapporte un contemporain bien. renseignd, on ne dit que: ,( Monsieur le Dauphin. ))On lui dit toujours vous, quand on lui parle, sans-le traiter d'Altesse, ni royale, ni autrement. Et telle est la volon/d ,/u loi sur cela;-qui devrait bien servir de rgle h ceux qui se repaissent de vaines chimres. ) A l'armde, le m6me Dauphin est astreint i une discipline sdvre. Le Duc du Maine, qui fair ses premii, res armes, monte la garde i la tranhde. Le Rot lui-m6me, lorsqu'il dtait en campagne, vivait de la vie du soldat, mangeant un diner de fortune, sur un coin de table, couchant dans une grage ou dans une dcurie. I1 faut lire, i ce sujet, le rdcit de la campagne de Flandre, en 166", dans les Mdmoires de la Grande. Made- moiselle: on y verra un singulier mdlange de faste et de simplicitd presque rustique. Le Rot savait donc s'adapter le plus facilement du monde aux circonstances, de m6me qu'il se mettait h la portde des gens. II affectait de partager leurs joies et leurs peines. I1 les partageait rdellement,*quand il s'agissait de quelqu'un-des siens, d'un de ses amis, d'un de ses ministres ou d'un.de ses gdndraux. Louis XIV, qui dtait un tendre, pleurait.facilement. A la noindre occasion, au moindre prdtexte, une mort, .une _ous xv. ,9 autres, h multiplier les points de rue. Pour eela, le souverai, doit s'armer de patience : , il doit, dit Louis XIV, savoir couter ;me la sottise.  Gouverner, ee n'est pas seulement savoir, e'est encore prgvoir,  pr6voir la eonduite d'aujourd'hui et l'ae[ion de demain, tout organiser en rue de eette action. Pour eela faire appel  routes les ressourees de la 'a[ion,  son or,  ses hommes,  son activitY,  tousles moyens que son indu.-.lrie et sa seienee peuvent mettre entre les mains d'un chef. On reeon- nat lk le gnie et la pens6e de Colbert. Louis XIV parlagea la plupart des vues de son ministre et il le soutint nergiquement. Et ainsi on peut affirmer que son gouvernement a donn h la France et  l'Europe eontemporaines le module de l'organisation. On ne saurait trop insister sur ee caraet/re positif et seienti- fique de l'l[a[, tel que l'a eoncu Louis XIV. Et pourtant eet ttat si positif, si slrietement rationnei doit eneore tre juste. Le Iloi a lo,,guement erit sur la justice des Ilois. La justice est, selon lui, avee la elmenee et la bon[, la pri,mipale des vet[us royales. Le Prince, lant jusle, rSsistera aux suggestions de l'orgueil et saura mme, k I'oeeasion, so montrer hu,nble. Cett pe,se a inspir  Louis XIV les magnifiques paroles qu voiei et qu'on ne saurait trop mditer, quand on est tent de l'aeeuser d'un orgueil insupportable : ,, S'il y a une fiert lgitime dans notre rang, dit-il au Dauphin son ills, il y a une "modestie et une humilit qui ne sont pas moins louables. Ne pensez pas, mon ills, que ees vertus ne soient pas faites pour nous. Au eontraire, elles nous appartiennent plus proprement qu'au reste des hommes. Car, aprs tout, eeux qui n'ont rien d'mi- nent ni par la fortune, ni par le mrite, quelque petite opinion qu'ils aient d'eux-m,nes, ne peuvent jamais tre modesies ni humbles; etees qualits supposent neessairement en eelui qui les possde et quelque 61vation et quelque grandeur, dont il pourrait liter vanitY... Mais, quand tout ce qui vous environne [era effort pour ;e vous remplir que de vou.-mme, ne vous comparez point, mon ills,  des princes moindres que vous : p,,,sez plulSt  eeux qu'on a[e plus sujet d'admirer et d'esiimer dans les sieles pas,6s... D,seendez avee quelque s6vri h la eonsid,'ation de vos propres faiblesses. Par lgz, mort ills, et en cela vous ser,z humble. Mais, mais quand il s'agira du rang que vous tenez darts le monde, des droits de votre eouronne, du I{oi LOUIS X1V. 63 son terrier, chair do labeur que ies puissants jottent sous le press.ir et dont ils extraiett des millions p,ur payer leur luxe et leurs ddbau-hes... videmment, le labeur agt'icole con'ribuait pour une large part aux budgets de la monarchic. 5lais nous oublions que le clergd assumait/ lui s-ul le bu,lg'et des tulles, de l'assistance et de linstruction publiques et, dans une impor- tattle mesure, des beaux-arts, sans pariet" de son don graiuit qui se chiffrait l,ar plusieurs millions. La noblesse supporlait, en grande parlie, la charge du budget de la guerre et des Affairesdtrangbres. Le noble qui achetait un rdgiment, l'entre- tenait et l'dquipait, saul en calnpage. Si le Roi accordait quel- quefois des subsides h ses ambassadeurs, l'usage, pour ceux-ci, dtait de se ddfrayer complbtement. Aucune indemnit6 de reprd- sentation ou de ddplacement. Les grands seigneurs m6mes, qui accompagaient la Cour dans ses ddplacemets, voyageaient k leurs frais. Lors du voyage de Louis XIV b. Lyon en 1658, la Grande Mademoiselle, consiertde de la ddpense, ne manque pas de crier bien haut ce que lui coOte l'honneur de monter dans le earrosse de Sa Majest6. Sans douto,, les hattts diguilaires eccldsiastiques, les grands bddficiail'eS, les princes du sang et les grands seigneurs, tout ce monde, copieusement muni d'apanages, de gros revenus ou de grosses pensiom, pouvaient payer, llais nous ne sogeons pas qu't c6t6 de ees privildgids, il y avait route une pl/be cldricale ou nobiliaire, qui, pout" reprendre le clich6 appliqu6 aux paysans, , mourait de faim , daos ses presbytbres ou ses castels ddlabrds. Si la noblesse accourait b. Versailles, pour y mendier les faveurs du Roi ou des ministres, e'est qu'elle ne pouvai! plus vivre sur ses tcrres, oh les redevances fdodales dlaient tombdes t rich. Le Roi savait parfaitement tout cela. C'est pourquoi il se prdoccupa de bonne heure d'imposer chaeun scion ses eapa- citds. I1 esti,nait que le clerg6, malgr6 son don gratuit et les ddpenses publiques qu'il avait prises h sa charge, ne conlri- buait pas autant qu'il l'aurait dO. D6s 1666, il dcrivait dans ses 3ldmoires : , Serait-il juste que la noblesse donner ses travaux et son sang pour la ddfense du royaume et consumer si souvent ses biens h soutenir les emplois doter elle est chargde,.et que le peuple (qui, possddant si peu de fonds, a tant de 16tes  nourrir) porter encore lui seul routes les ddpenses de l'lt.at, tandis que les eceldsiastiques, exempts par leur profe,sion des d:ngers de 6 BEVUE DES DEUX MONDES. se rdfrent  des pdriodes attormales et passablement eloigndes les unes des autres, -- pdriodes de guerres, ou pdriodes da famine. Elles sontdatdes de 16", 16"/5, -- ou de 1693, 169"/, -- ou de 108-1"/09,- c'est-h-dire du grand hiver qui ddtruisit routes les rdcolies d'une annde, -- ou d'dpoques critiques oh la France envahie avait tt lutter contre de formidables coalitions. Les ipoques de guerres civiles, comme celle de la Fronde, ou m6me d'dmeutes provinciales, am/nent naturellcment une recrudescence de misbre. Ajoutons que, cette mis/re, la fa- ndantise, l'inertie et la routine des paysans ou des ouvriers des villes en dtaiet souvent responsables. Les lettres de Colbert ne sont que trop explicites t ce sujet. Mais ce que l'on peut affirmer, d'une manibre gdndrale, c'est qu'il n'est pas un de ces fairs ddsolants auquel on ne puisse opposer un fair contradic- toire, lequel, d'ailleurs, ne prouve pas davantage. Les ambassa- deurs vdnitiens nous parlent souvent du ddnuement des campa- gnes frangaises, de l'dpuisement du pauvre peuple. C'es[, sons leur plume, une formule convenue qui se rdp/te b. peu prbs dans les m6mes termes, d'une annde t l'autre. Et c'est encore un lieu commun que leurs phrases admiratives sur la richesse de la France, son abondance en hommes, en argent, en denrdes de route sor[e. Depuis Machiavel qul adressait, |ui aussi, des rapports analogues, aux magnifiques seigneurs de ia Rdpublique de Florence,- il est entendu que la France est uu (( pays gras et opulent, )) qu'on n'y manque de rien, que chacun vit de sa terre et ne ddpense rien. Dens ses Ritratti sulle cose di Francia, il nous affirme que les seigneurs fran(ais ont chez eux,  pro- fusion, des bestiaux, des volailles, du poisson, de la venaison. ( Le paysan ne trouve pas . vendre son bld, parce que chacun de ses voisins est vendeur lui-m6me.  Bref, la France ne salt que faire de sa richesse. Un sicle plus tard, l'Italien Locatelli, dans son journal de voyage, nous redit i pen pr/s la m6me chose: pour lui, la France est le pays de l'abondance, de la joie, de la libertd. Son voyage n'est qu'une bombance et une pariie de plaisir coniinuelles. Iddes prdcongues ou simples impressions, qu'il est toujours facile de rdfuter, ou de contrebalancer par des affirmations contrairesl On ne peut pas en tirer des conclusions positives sur l'dtat rdel du paysan, non plus d'ailleurs que de telle description littdraire, ou de tel tableau fameux. Le morceau trop souvent 2 REVUE DES DEUX MONDE$. gation r6gulire, au sortir de ces grimoires, de se replonger daas des bouquins ? Quand il en avait envie et mi}me plus sou- vent qu'il n'en avait envie, on lui faisait la lecture. Il usait des yeux d'autrui pour m6nager sa vue surmen6e par les sances de cabinet qui remplissaient presque routes ses journ6es. Mats, ce que nous oublions, c'est que, par devoir, aulant que par go, il a entendu de ses oreilles presque route la litt6rature de. l'6poque, et, mme. route une litt6rature tombeie, aujour- d'hui, dans l'oubli et qui ddpasse de beaucoup celle qui est devenue classique. Les pibces de thiStre, les sermons, les oraisons fun/bres, les pobmes et les harangues, il en 6tait le pre- mier audileur. C'est pour lui et devant lui que Bossuet et Bourdaloue ont pff.ch. C'est pour lui et devant lui que Molire 6crivait et jouait. Esther et Atalie ont 6t6 faites sp6cialement pour son plaisir et son 6dification. Il avait Racine pour lecteur et pour commentaieur. Qui de nous a jamais ret;u une 6ducation litigraire comparable t celle-l, aussi 6tendue et continue, aussi vivante surtout ? Qu'on songe  ce que devait 6tre une pibce de Racine, lue et commeni6e par Racine I De sor[e qt'on peut affirmer, sans nulle exag6ration, que personne n'a connu la liit6rature du sicle de Louis XIV comme Louis XIV lui-m6me. I1 ne manqua pas une occasion de marquer l'estime singu- lire qu'il faisait des lettres, comme, d'ailleurs, de tousles arts et de routes les choses de l'esprit. C'est ainsi qu'aucun de nos chefs d'itat n'a trait(i l'Aca- d(imie fran(:aise avec autant de consid(!ration que ce monarque absolu. Aprbs la mort du chancelier Siguier, il tint  honneur d'en 6tre le protecteur officiel. Il lc d(isirait aussi pour des raisons politiques faciles  deviner. Mats, afin d'dviter la moindre apparence de contrainte tyrannique, il eut l'habilet6 de se faire offrir ce tiire de protecieur par les aca&!miciens eux- m6mes. II les installa au Louvre, dans son propre palais, alors que. Colbert proposait de les religuer dans-la "Biblioth/que royale,-consid(!rie par lui comme plus commode. En narge de la lettre que Colbert lui adressa h-ce:sujet, le Rot dcrivit de sa main" H faut faire assembler f Acaddmie au Louvre" cela me paratt mieux, quoiqu'un peu incommode. Atin de bien souligner l'importance qu'il attachait  cet ,:LOUS XV;- 83 . collier du Saint-Esprtt au cou, 6toutt'ant sous le lourd manteau de velours noir sem6 do langues de feu, -- et, dans eet appareil dcras,ant, pendant des heures, il passe,.-inlassabte, entre, les files des malades et-des moribonds, en.: pron0n(ant l'6mouvante.:! formule : ---- Dieu te gu6risse I Lo"Roi te touche 1... Et il n'a lbas fair eela une fois. I1. l'a fait tous les ans; p!tJ- sieurs fois par an jusqu'aux derniers jours de sa vie. A la veille de mourir, avee sa jambe gangren6e, tout son grand corps fondu, il s'est itnpos6 le devoir de visiter et de toucher uno der- ni6ro fois les autres moribonds. Le 8 juin 1"15, la Gazette de France 6erit : , Le Rot a communi6 et touch6 les malades., Combien 6taient ils, ce jour-li?... Le 9,9, mat 1"01, ils 6taient 9,400 dans la grande eour de Versailles. Avouons que saint Louis mSme n'a jamais rien aceompli de plus beau, de plus tendrement charitable, Ce qui distingue la pidtd du Rot, ce sont les deux grandes ddvotions fran(aises du xw  sibcle: le Rosaire et le Saint- Sacrement. Par cette double affirmation de la Rdalitd eucharis- tique et du culte de la Vierge, nos pres eotendaient rdagir contre les ndgations protestantes. Tous les prddicateurs d'alors commencaient leurs sermons par la rdcitation de l'Ave Maria, et la ddvotion au Saint-Sacrement dtait une manifestation telle- n,ent publique et tellement frdquente de la pidtd fran(aise que, pour des dtrangers, m6me catholiques, cela frisait la supersti- tion et presque l'hdrdsie. L'abbd Locatelli, au cours de son- voyage en France, dcrit cette..phrase surprenante : , Le Tr;s Saint-Sacrement semble tre l'unique objet de la foi des Fran(ais. ,, Louis XIV, en cela, se comportait comme le premier venu d'entre ses sujets. A en juger par le dehors, sa religion, c'dtait la foi du charbonnier dans route sa simplicitd. Le Rot avait tou- jours un chapelet dans s.a poche. A la chapelle, on le voyait rdciter le Rosaire, -- et pour le Saint-Sacrement, c'dtait, k la moindre occasion, un acte public d'adoration et de foi, qu.i fat- salt passer sur les assistants le frisson de la prdsence rdelle. I1. accompagnait le Viatique jusqu'au chevet des malades. Au plus fort de son adultre avec la Montespan, il.eut un premier dlan EVUE DES DEUX 5[ONDES. de contrition, en rencontrant un pr6tre qui portait le Saint- Sacrement  un de ses officiers moribonds. L'Iloslie offerte pour les pdchds du monde, l'dternelle et ten,l,'e Victime surgit  l'improviste et lui barra la route, --- et ce fur le commencement du retour. Et ce n'dtait pas, chez le Rot, des sursauts de pidtd intermittente. C'dtait une foi ardent, profonde, que ses fautes les plus graves ne pouvaient ni obscurcir, ni entamer, l'cndat les offices, il dtait presque constamment i genoux, et son atti- tude recueillie epri,nait un sentiment si intense, une idde si haute des mystbres qui s'accomplissaient, qu'il donnait de la pidtd aux courtisans eux-m6mes. On le volt encore  la place qu'il occupait, dans l'angle gauche do la tribune de la chapelle. Face  l'aulel, il est l'k prosternd sur son carreau de velours,  et route la Cour est tournde vers lui, comme si elle n'osait se tourner vers Dieu qu'b. travers ce royal intermddiaire. Lt beautd des rites et des cdrdmonies, le son angdlique des orgues,- la mdlodie des violons et des voix humaines ajoutent encore k la splendeur d'une relic sc/ne. C'dlait quelque chose de si beau qu'une petite protestante, la future 31  de Caylus, disait qu'elle voulait bien se convertir,  condition d'entendre tous les jours la messe du Rot... Les gens qui connaissaient, mal Louis XIV, et aussi les ddvots, lui reprocl,aient une i)idt route formaliste, tout exld- rieure et superficielle.-Fdnelon dcrivait h 51 " de Maintenon que le Roi'n'avait , aucune idde de ses devoirs, ., ni de la vraie pidtd. M'" do Maintenon elle-mtme se considdrait comme envoyde par Dieu pour retirer le Rot de son aveuglement et de son ignorance et pout" lui faire faire son smut. Tous les maligns, elle rdcitait cette pri/we que son directeur, Godet des Marais, l'dv6que de Chartres, avait composde ,k son intention" ,, Sei- gneur, men Dieu, vous m'aveznise dans la place off je suis. Vous. qui tenez le cceur des rots, ouvrez celui du Rot, afin que j'y puisse faire entrer le bien que vous ddsirez. ,, vec son entourage,elle prdtendait lui apprendre tout ce qu'il ignorait et lui donner une vritablo instruction religieuse. II est certain, encore une fois, que le Rot n'avait rien d'un thdolo.gien ni d'un myslique. Mats de 1' - lo traiter d'ignorant en malibre religieuse, il y a loi;. Songeons qu'il a eu pour cat!chistes des ilocteurs cotnne Bossuet, des moralistes comme Bourdaloue, que, pendant un demi-si/cle et plus, il a entendu 9 IEVUE DES DEUX MONDE$. ainsi La delicate image qu'il tra(;ait s'accordait h l'idee qua le . monde a con(ue depuis des ages de ces peuples, plus aptes qua d'autres aux divinations et pressentiments de l'invisible. D(!j ,, l'antiquitd classique (!fair pleine de la tradition d'une ile des Ombres situde aux extr(!mitds de l'Armorique, et d'un peuple voue au passage des ames qui habitant le littoral voisin. }, Et n'est-ce pas aux Bretons de (;rande-Brelagne qua le Moyen- Age a demandi ses romans les plus chargds de pathdtique et de surnaturel, ses histoires les plus merveilleuses de magic et d'amour, -- languide, inefficace amour, dont la voluptd est faite surtout du .regret savourd de l'absent Avec leurs harpes, triades, prophdties, ldgendes, inventions de route sofia, ces Gallois furent les enchanteurs de l'Occident. Shakspeare le savait, et quand il mit en scne l'un d'eux dans son Henri IV, il en fit ce prince devin, si diffdrent des seigneurs normands qui le raillent, ce doux, subtil ct changeant Ovcn Glendower, dont la naissance fur annoncde par des signes, et qui non seule- ment suscitait les esprits de l'abime, mats avait (( lu beaucoup de livres, aimait h parler du passd fabuleux, et se montrait habile  orner la langue et l'envelopper de musique. ) Comma ces derniers mots prdfigurcnt son lointain neveu du Trdgor, dont la vie brillante cut aussi son prdsage, le grand clerc, un peu sorcier, ami des mythes, musician du langage, et qui pouvait parler de ses anctres gallois I Mats plus encore, peut- ,[re, Ernest Renan tenait de ce Prospero, qui tenait de Merlin ; et s'il a ressuscitd l'enchanteur, en lui pritant ses charmes, sa science, sa philosophic, son rfive de l'univers, sa haute, hautaine vision de l'humanitd, c'est qu'il avail beaucoup retrouvd de lui- m6me dans le personnage shakspearien, l)djk, dans Imogbne, i! avait reconnu une fille de la race bretonne. Rien d'(itonnant : dans la lignde de pobtes anglais qua nos voisins regardent, pour le myst(!rieux de leur r6ve et le fantasque de leurs dlans, comma d'origine ou d'inspiration celtique, ne placent-ils pas d'abord ce Shakspeare, n! k vingt lieues du pays de Galles, au bord de ct.t Axon dont notre Aven nous rdpite le nom kymrique? Et n'est-ce pas le plus tendre, le plus imprdvu, le l,lus prompt et merveiilex du gdnie breton tel qua Renan l'a ddfini, qui a pass[i darts les fderies du grand evocateur anglais? RENAN ET LA BETAGNE. 103 l'me du lieu est la m6me, paysanne, modeste, recueillie, parti- cipant n6anmoins de la grandeur et de la solennit(! de l'6l(!- merit. Dens ces paysages du Trieux, du Guindy, qui furent ceux de tous les Renan, le s(!v/re et le doux, l'humain et le sauvage, se marient naturellement. Rouges bruy/res par-dessus les varechs, ch6nes et h6tres sur des nappes d'ajoncs, saillies de pierres qu'argentent des lichens, -- et puts soudain des pore- raters, la ftmde bleue d'un toit, un pauvre gite humain, ancien sans doute, les g(!n(!rations ayant toujours bhti h la m6me place favorable. Un sloop passe, sa voilure encore tremp6e par les embruns, apportant lh, darts ces lieux abritds, le sentiment de la grande eau prochaine et dangereuse. J'dtais, un matin de l'(itd deraier, sur cette rivibre de Tr6- guier, dens le profond ravin qui fut la dernibre chose de son pays que vitle pbre de Renan avant de disparaitre, sans qu'on air jamais su comment, de soa bord, au cours d'un voyage  Saint-Malo. Nous avions quittd le quai, au has de la vieille ville, " la vague lueur de l'aube, et nous glissions avec route l'eau qu'une force cosmique appelait,- une eau presque notre, si froide, si chaste au sortir de la nuit. Entre les bois sombres, les rochers qu'empourpraient vague- ment, dans une brume le:g/re, les premiers rayons de l'aurore, nous allions, sous un souflle imperceptible, d'une balise  l'autre, darts un tel silence, d'un mouvement si 6gal, que des oiseaux de met se levaient, surpris, sous notre dtrave. De loin en loin, sur les vases, on voyait leurs peuples blancs s'affaire', clement le r(!veil, et leurs cris si "pres, poignants, alternaient avec le faible, infini gazouillement darts la feuillde. Parrots, au ras de l'eau, un hron, posd sur une longue patio, fatidique, gardait un ddtour du ravin. Au fond d'une anse, des milts se lev/rent : trois go(!lettes pareilles, attendant le flot, j'imagine, pour monter jusqu'h la ville, mats, je ne sais pourquoi, mystd- rieuses, h cette heure insolite, comme immobilis6es lh par n enchantement, et faisan! partie depuis tr/s longtemps de cette solitude. Et puts, h l'orde d'un petit val, une petite ferme se ddmasqua, primitive, perdue, et  cSt(!-, t la limite dc la vase, le nez dans les ronces, une rude chaloupe abandonnde. Ainsi faut-il imaginer les rives oh vdcurent, pendant treize cents ans, les pbres bretons des Renan, (( l'humble clan de laboureurs et de matins  qui, par lui, sont arriv(!s  la conscience et t la voix. RENAN ET LA BRETAGNE. l'observance de la rgie des mceurs, il met le d!sintdressement, la pauvret(i, ( celle des vertus de la cldricatureque j'ai le-mietx gardde. M. Olier avait fair faire dans son glise un tableau Saint-S..ulpice !tablissait la rigle fondamentale de ses prtres. Habentes alimenta et quibus tegarnur, contenti surnus. )).Vieilles vertus chr!tiennes, et pour cela si longtemps bretonnes; vertus d'une sociO(! oh le pauvre,  sa place reconnue, prdsentait un caractre religieux, presque de saintet(!, rdpondant " l'aumSne par un bienfaisant murmure d'oraisons latines. Survivance, encore, des temps lointains oh l'Europe Oait la chr(!tient(!, oh la foi au Christ, h son Paradis, son glise, r(!gnait, absolue comme, en Islam, la foi au Dieu unique,, h son Prophite et - sa Lot. Telle est la tradition trans- mise au jeune Renan et par sa Bretagne et par le S(!minaire, et d'oh sortirent son lan vers l'invisible, son culte de l'Esprit, son affirmation continuelle de la seule valeur de l'hme,- qui ne l'empche pas de voir dans l'me une r(!sultante, non une subs- tance. Il avait le vieux d(!dain catholique du corps, tenu vraiment pour guenille, r(!pugnant, comme ce pudique paysan breton que je citais tout  l'heure, " en avouer les misres : ses mddecins n'en tiraient que d'affables gdndralitds. A cet (!gard, un de ses derniers mots est significatif. Il (!fair mourant, au Coll/ge de France, et pour (!viter des souffrances qui eussent aggrav(! son agonie, une petite op(!ration fur d(!cid(!e, tout de suite effectude. Par politesse pour les praticiens, il s'dtait tu. Mats, seul avec les siens, il eut un sursaut, et fit entendre la vdh(imence de sa protestation : (( Vous m'avez abandonnd aux mat(!rialistesl Cri (!trange, oh se traduit tout le dessous  la fois eccl(!sias- tique et breton, le fond archaique de l'esprit  [ant de points de rue le plus souple et moderne de notre temps. , Pou la direction g(!n(!rale que prit sa pens(!e, pour le choix des sujets qui l'orientrent, les deux milieux associrent aussi leurs suggestions. L'enseignement du S(!minaire le prdispo- sait  l'dtude sp(!ciale des religions. Mats, d'avance, ses. impres- sions, ses souvenirs d'enfance, l'intdressaient aux premiers dtats obscurs de la croyance,  ses origines, aux formes libres, vagues encore, au ras du sol, de leur germination. Le surnaturel, en Bretagne, l'avait tout de suite entour(!. A dix ans, il dtait sen- BENAN ET LA BBETAGNE. lement pudeur ou convention si le roman d'amoul' anglais est si d(!pouill6 de l'(!l(iment charnel. Dens la Grande-Bretagne comme dens l'aulre, on voit des amoureux qui, des ann6es durant, ne semblent ddsirer rien d'autre qua de se promener ensemble, le dimanche, au sortir de l'(!glise, en se dormant la main. Renan, qui Conuaissait peu les Aglais, avai! deviu6 cote ressemblance (t). Elle s'ajoute h bien d'atres qui vdrifiant son idde que, chez nos voisins, pas plus qu'ailleurs, langue ne signifie race, que le Celte, de l'autre c6t! de la Manche, a surv6cu t la conqu6te anglo-saxonne, et qu'il tient toujours une grande place dans l'ethnographie de l'Angleterre. Mats la fa(on d'aihaer n'est qu'un trait. En cet dcrivain qui a ddconcertd, en le charmant, les habitudes de l'esprit frant:ais, si l'on voulait atteindre et d6gager tout l'616ment natif, c'cst h sa personne m6me, h tout ce qui la traduit en son oeuvre,--" rythmes, mouvements, style,- c'est au plus insaisissable do son g6nie et de son art qu'il faudrait se prendre. De sa race, il en est par son instinct et son besoin f6minins du divin, par sa religiosit6, h6ritage des p/res en qui fur si forte , la foi t l'invi- sible, ,, par sa sensibilitd aux valeurs spirituelles" quel autre, entre les maitres fran(ais ontemporains, a prononc(! avec ce t accent, -- le mSme qu'y mettaient justement les grands Anglais de l'6poque,- les mots vertu, morale, d(!cri6s chez nous, (( bourgeois ,)depuis les romantiques ? Comme un Ruskin, dans la tendance qu'ils traduisent il voyait, orientant notre volont6 et notre conduite, l'effort spontan(i e la vie vers la perfection de sa forme,- plus gdn(!ralement, comme un Mathew Arnold, quelque chose du mouvement du monde. Mysticisme intdrieur, profond, toujours print t remonter au jour, t 6mouvoir, de fa(:on inqui6lante, parfois, pour le parti qui le r6clame, la cristalli- sation rationaliste de sa pensde disciplinde. ,( Une de mes moitids devait 6tre occupde  ddmolir l'autre... ,, Mats que d.e com- plcxit(!s de ce g6nie si moderne, si proche, pourlant, de la nature, par les instincts, les divinations qui l'y accordent; si fortemen! dressi aux disciplines de l'esprit, si puissant  raisonner, si (!pris, cependant, do l'irrationnel, du spontan6; si (t) Emma ho$liz. CONFERENCE DE LA LE CODE DE LA GUERRE AERIENNE Du i l ddcembre 1922 au 20 fdvrier 1923, le Palais de la Paix b, La Haye a dt6 le sige des sdances de la , Commission de Juristes chargde d'dtudier et de faire rapport sur la revi- sion des lois de la guerre. ,) A ce moment, l'attention publique dtait attirde vers les pourparlers de Lausanne, ainsi qua vers les dvdnements de la Ruhr; aussi,  part quelque brefs com- muniquds Havas, ne trouva-t-on dans la presse aucune nou- velle de ces rdunions. Pourtant, st, comme certains le pensent, la guerre adrienne est destinde  prendre une place de plus en plus importante dans les guerres futures, et mtme k y jouer un r61e ddcisif, les Conventions qui ont did dtablies  La Haye et vont 6tre soumises k la ratiilcation des Gouvernements intdressdssont appeldes t avoir, au c,ur des prochains contlits, une influence peut-6tre supdrieure  celle des ddclarations de Washington elles-m6mes. La Confdrence de La tIaye ne fur, d'ailleurs, qu'une suite de celle de Washington. En effet, dans l'invitation envoyde le 11 aodt 1921 par le Scrdtaire d'llat des llats-Unis, au nora du Prdsident, aux Gouvernements de la France, de la Grande- Bretagne, de l'ltalie et dtt Japon, en rue de participer k une Confdrence pour la limitation des armements, il e'tait dit qu'il .yaurait peut-6tre in.tdrt k soumettre l'usage des nouveaux or xvt. -- t923. 9 LE CODE DE LA GUERIE .IIENNE. 131 C'est " Bruxelles, en 18"/, que le problme est abo,'&i pour la premiOre fois. On ne eonnait alors que le ballon sphdrique libre, avec lequel peuvent Otre aeeomplies des misians de recon- naissance ou de liaison (environ 60 furent faitos au eours du siOge de Paris). D'un eommun accord, le prineipe estposO que ces missions, aeeomplies, ouvertement, ,, ne peuvent 8tre assi- mildes  des acres d'espionnage, ainsi qu'avait voulu l'imposer Bismarck en 180. De 187g h 1899, l'adrosiation dirigeable prend naissance et on envisage immOdiatement le lancement de projectiles. Aussi, lorsqu'en 1899, l'empereur de Russie provoque la rdunion de la Confdrence de La Haye, 1 mmte Mouravieff, communiquant aux Puissances l'ordre du join, des futures rdunions, y fair figurer , la prohibition du laneement de projectiles ou d'explosifs queleonques du haut des ballons ou par des moyens analogues. )) Le texte ddfinitif adopt6 k l'unanimitO, saul une abstention, celle de la Grande-Bretagne, fur le suivant", Les Puissances contraetantes eonsentent, pour une durd de cinq ans,  l'interdietion de lancer des projectiles ou des explosifs du haut de ballons ou par d'autres modes analogues nouveaux. ,, Les pacifistes reprochrent vivement  la Confdrence d'avoir, en limitant l'iaterdiction du bombardement  une courte durde, faussd la gdndreuse pensde russe. Leur thdorie constante est que les moyens de destruction existant  l'heRre oh ils patient sont suffisamment efiicaces et qu'il faut non pas en rdglementer de nouveaux, mats restreindre au minimum l'usage des anciens. Remontons dans le passd" nous verrons le concile de Latran interdire l'arbalte, le pape Innocent Ill protester contre l'introduction des armes  feu... Mats les lemons de l'histoire sont rarement efficaces" nous entendrons les mme arguments h La IIaye en 1923. A pattie de ,1899, les progrs adronautiques s'acclrcnt. Quand s'ouvre la deuxime Confdrence de la Paix, l'adroplane est nd" c'est ddsormais sur les adronefs qu'il faut ldgifdrer et non plus seulement sur les ballons. Devant les possibilitds qui s'ouvent, le patti hostile au ddveloppement des procddds de guerre s'agite et, au nom des exigences humanitaires, met la future Confdrence en demeure de renouveler, d'une manire ddfinitive, la prohibition pdrimde dont l'examen faisait Imrtie de l'ordre du jour proposd par l'empereur de Russie. LE CODE DE LA GUERIRE AIIRIENNE. 3 trouver les termes les plus nets, les formules les plus precises. I1 avait auprs de lui M. Spaight, jurist attachd ,i l'Air Ministry, travailleur acharnd lui aussi, et auteur de ce livre prophdtique.: Aircra/t in war. L'Italie n'avait d(!sign6 qu'un seul rel)rds.ntant , le s(!natcur tlolando tlicci, ancien ambassadeur k Washing.ton, oi il avait ddji repr(!sentd son pays h la Coufdrence de 1921. I1 (!fair second6 comme expert a(!ronautique par un (!minent officier sup6rieur, le colonel Moizo, bien connu de ses camarades fran(ais, ancien dldve de l'dcole Bldriot de Pau, qui fur pendant la guerre chef de l'Aviation italienne au Commando Supremo. La ddl(!gation japonaise, trs nombreuse comme toujours, dtait dirigde par le baron llatsui, dont l'(!ldgante et fine silhouette de diplomate toujours impassible est bien connue i Paris, oit il 6fair ambassadeur au moment de la grande guerre. Ce fur lui qui n(!gocia l'envoi au Japon, aprds l'armistice, de la lissioa fran(aise d'adronautique, dont l'ceuvre, couronmie du plus grand succ/s, fur un dv(!nement marquant dans l'histoirc l,s relations des deux pays. Le baron Matsui (!tait second(i par l.)latsuda, ministre pldnipotentiaire, chargd d'affaires " Paris. Tous les ddl6guds des quatre Etats citds plus haut (!talent ambassadeurs ou en avaient re(u le rang et les prdrogatives par un d(!cret de leur Gouvernement ; la France et les Pays-Bas ne suivirent poir/t cet exemple, et ddsignrent des juristes. Les Pays-Bas (!taient reprdsent(!s par M. Struycken, membve du Conseil d'ltat, et le professeur Van E-singa, de l'Universit6 de Leyde, spdcialistes l'un et l'autre des questions de droit international, ayant l'un et l'autre dtudid de trs pros, au cours de la guerre, tous les cas de violation du droit des gens dont la Hollande avait eu i se plaindre, et ayant conservd de cette dtude, i l'encontre des bellig(!rants, quels qu'ils fussent, une rancune instinctive... " Les juristes fran(ais dtaient )I. de Lapvadelle, juriste du ministate de la Marine, qui avait pris part au Congrs de l'Institut de droit international de 1911 i Madrid, et M. Basde- rant, juriste du ministdre des Affaives (!trangres, l'un et l'autre professeurs agrdgds i la Facultd de droit de Paris, et sp(!cialistes des Confdrences internationales. L'expert fran(:ais pour les questions de radio-t(!ldgraphie dtait naturellement le gdndral Fervid, sans les avis duquel no LE CODE DE L, GUEIIIIE AI'IENNE. la succession d'ob.iectifs, qu'il va avoir  attaquer. S'il s'agit de troupes h terre, comme lors du passage de la Marne en 1918, faudra-t-il renoncer h une action peut-6tre ddcisive, ou, en l'ajournant pour remanier ses approvisionnements de muni- tions, laisser dchapper l'occasion propice? Pas un chef ne saurait envisager cette dventualitd. Peut-on, de mme, admettre que des a'dronautes faits prsonniers . l'atterrissage courent le risque d'6tre fusillds parce qu'on trouvera k leur bord ces munitions litigieuses, ainsi que les Allemands ont voulu le faire en 191"/, . l'dgard de pilotes britanniques? Non dvidem- ment. II a donc bien fallu admettrc que la Convention de Saint-Pdtersbourg ne s'appliquerait qu'aux combats entre troupes de terre ou de mer, et non  la guerre adrienne. Dans la guerre navale, l'usage d'un pavilion faux est consi- ddrd, avant le premier coup de canon, comme une ruse de guerre licite... On peut du reste le trouver dtrange... Peut-6tre est-ce parce que, m6me  ce moment, l'adversaire a encore le temps de se ressaisir, et que de plus la vitesse de rapprochement de deux navires permet le temps de la rdflexion? I1 n'en est pas de m6me en navigation adrienne, oO cette vitesse peut atteindre et m6me ddpasser 130 mtres par seconde, et ot la premi/re salve peut suffire . la destruction ddfinitive de l'adver- saire. Aussi l'usage de fausses marques doit-il 6tre interdit. , . On se souvtent que, fid/les  la tradition bismarckienne, les Allemands voulurent infliger des peines sdvres  des aviateurs fairs prisonniers apr/s avoir rdpandu par la vote des airs des tracts de propagande : prdtention formellemnt contraire au droit des gens, cette opdration dtant bien ddpourvue de tout caract/re clandestin! La rdgularitd de semblables procddds a td nettement spdcifide. Vint enfin la questipn du bombardement, si importante par ses rdpercussions possibles sur les propridtds et les existences de la population civile. La, comme dans d'autres domaines, les abus inhumains commis par nos ennemis ont souvent aidd k la discussion, an montrant clairement ce qui ne devait pas 6tre licite. C'est ainsi qu'on est tr/s rite tombd d'accord sur ce principe, que le bombardement exdcutd en vue de terroriser la population civile, de ddtruire la propridtd privde ou de blesser les non-combattants devait 6tre interdit. Les lancements de bombes au hasard sur des quartiers populeux de grandes flau de la d6population. Les femmes,  la maison, sent done presque toujours seules avee leurs pens6es-. Condition dange- reuse pour un 6tre d(!ja brisd de fatigue. De la ddpression mentale oia elles se trainent monte l'irr(!sistible assaut des d(!sespdrances tenaces et des frayeurs irraisonndes. Elles sent presque routes tourment(!es iar la peur. Un (!tranger qui passe et sourit d'une fat, on myst(!rieuse, un arbre qui frSle de ses branches la fen6lre obseureie, le bruit du l)quet qu'on soulive en rentrant h la mat- son ddserte, tout d!chaine en elles des affolements irr!sistibles. Les plus patientes se rdsignent t bercer plaintivement leur ennui, en attendant le terme de ees reeommencements iniold- rabies, et parrots eonsidrent la relic dent elles se sentent mena- e(ies eomme une d!iivrance. lais il en est d'autres qui se r!voltent centre la vie d!primante qu'on ls oblige  mener. Elles s'insurgent surtout centre l'insensibilit! de l'homme qui ne eomprend pas que ce dent elles souffrent, c'est de ne pouvoir se laisser porter par leurs !lans de tendresse. Elles ont soil de doueeur et de faiblesse, et continuellement elles se blessent h la duret(! masculine qui les enferme dans le cerele infranchis- sable de leur solitude et de leurs frayeurs. Et alors, un jour, le conflit (!elate, indvitable, entre ees deux 6tres qui n'arrivent pas k se eomprendre. Voyez cette jeune femme qui descend l'escalier de sa maison, c regardant par-dessus son !paule quelque chose d'effrayant. ), Elle ne peut d(!tacher ses yeux de la petite fen6tre au travers de laquelle on aper(:oit, dans le champ derriire la maison, le eimetire de la famille, ( si petit que la fen6tre l'eneadre tout entier. )) I1 n'est pas plus grand qu'une chambre h eoucher, n'est-ee pas?- I1 y a trois plaques d'at'doise, une de marbre, --de minuscules plaques aux larges 6paules,- lh-bas, sous le soleil, au flane de la eolline. C'est que l'une de ces tombes, route fraiche, eontient le corps de l'unique enfant, perdu riecmnent. Depuis, la [nre est bizarre et, lorsque son mart, intrigue! par ses allures, l'interroge, clio a une figure mauvaise et fermde. Le-mart ne prend pas eela au s(!rieux. Caprices de femmeI Serait-ee la perto de l'enfant? 11 fait de son mieux pour eombattre ee d!raisonnable d!sespoir, llais chaeune de ses paroles maladroites, oia gronde une impatience difficile k eontenir, fouille la plate plus event. 06 IEVUE DES DEUX MONDE$.. choses habituelles,- mais rien- qui ressemble autant  un coup sur une boite. -- A nul qu' lui-m6me il ne donnait de lumiire, -- fi l'endroit oix il 6tait maintenant assis, -- pr6occup6 il savait bien de quoi. C'6tait-- une lumire sourde, et encore pas m6me -- cela. h la lune telle quelle, si tard-- lev(!e,  la lune cass6e, qui valait mieux --que le soleil, malgr6 tout,, pour une mission- pareille, il confia sa neige sur le toit, -- ses glaqons sur le mur, et il dormit. La boche, -- dans le po(le, s'61ant retourne avec un-- soubresau[, le troubla, et il se retourna--aussi, poussant un long soupir lib6raieur, -- mais sans cesscr de dormir. Un seul homme fig6, -- un seul homme,- ne peut emplir une maison,- une ferme, une campagne, ou bien s'il le peut, -- c'est ainsi qu'il le fair par une nuit d'hiver, i Aucun des sentiments du vieillard n'a m6me did exprim(! ; seules quelques-unes de ses attitudes ont dtd reproduitcs avec une exactitude, avec une duret(! presque photographique. Mats comme nous connaissons pourtant l'immense solitude qui a fair le vide dans son cceur l Pas un dgtail qui ne soit dvocateur du crdpuscule sans joie oh s enfoace cette existence" le regard mdfiant de la nuit, les bruits qui font sursauter le silence, l'obscurit6 que ne rdussit pas a percer la lumiire vacillante de la lanterne, l'aspect cass(! de la lune froide, l'air perdu et absorb(! de l'homme au milieu des choses inquites et hostiles, l'agitation de son sommeii gonlld de soupirs,  tout contribue  crder en nous, touche  touche, la vision de l'irrdparable ddchdance physique et morale oh ce vieillard traine ses dcrniers jours, et  dclairer le trou noir de route une vie de labeur pliant d6sormais sous la lourdeur de son inutilit6. Jamais on n'avait d(!crit, en termes aussi prdcis et en mme temps aussi suggeslifs, la morne ddsespdrance oh peut sombrer une ame humaine. Ce po/me est un petit chef-d'oeuvre de rdalisme podlique. Le tableau de cette vie rurale a !t6 peint de couleurs si sombres, l'impression qu'ii',laisse en nous est si douloureuse, que l'on a voulu y voirune critique de la h'ouvelle-Angleterre et de sa civilisation. Car il se trouve qu'un certain hombre d'intellectuelsamdricains, en sympathie avec les partis rdvo- lutionnaires, attaquent furieusement ce qui a jusqu'ici fail l'orgueil de la jeune rdpublique des ltals-Unis, lls se lamenlent de voir leur pays, dans son asservissement b. des iddes purement EN EST L'ARSIEE ROUGE? Devant l'dtat lamentable de ses finances, le Gouvernement des Soviets se voit dans l'impossibilitd de faire face aux ddpenses que ndcessite l'entretien d'une armde. De li est nd le projet, actuellement h l'dtude, de transformer l'armde rouge en milice. Ce projet soul/ve bien des objections, en raison surtout de l'dnormitd des distances en Russie et du mauvais dtat des chemins de fer. Plusieurs, parmi les membres du Comitd rdvo- lutionnaire militaire, le combattent dnergiquement. Aussi a-t-il dtd ddcidd que, pour le ddbut, on se bornerait i un essai partiel. C'est ainsi que la 10 e division de chasseurs de Pdtrograde a transformde en 10 e division de milice, et la brigade de milice de Pdtrograde, ddjh existante, a dtd transformde en 20 e division de milice. L'adoption de ce systme ne ferait que consacrer un dtat de choses constatd par tous les tdmoins : i savoir que l'armde rouge existe surtout sur le papier. Ddji, en 1992, on ne comptait, dans un rdgiment de chasseurs, que 200 hommes pour un effectif de 9.800 sur le pied de guerre; dans une division d'artillerie ldgire, que 69. hommes et 18 chevaux, pour l 000 hommes et 800 chevaux en cas de mobilisation.. Ajoutez que le rdgime sovidtique emploie toujours un grand nombre de soldats pour divers travaux et besognes varides, qui n'ont rien de militaire : on comprendra que, dans de relies conditions, il ne puisse 6tre question ni d'exercices ni de manoeuvres. Est-il besoin de dire que dans ce projet n'entre pour rien le ddsir, affichd par lcs Soviets, de soulager le paysan des charges OI EN EST L'AMI,E I,OUGE? 21"1 escadrille comprenant t0 avions de marehe et 3 de rdserve. La eirconscription militaire de Pdtrograde devait avoir 3 divisions de chasse ett de bombardement; celle de Smolensk, , divi- sions de chasse ; celle de Moscou, 3 divisions de chasse et 9 de bombardement; celle de Kiew, bombardement. Mais, en r(!alit6, pour route la Rdpubliquo sovidtique, t la fin de l'annde 1922, on ne eomptait pas plus de 200 avions en service :encore dtaient-ee de vieux mod/les du Gouvernement impdrial. Cette annde, les Soviets ont ddcidd d'avoir reeours l'(iiranger, ce qui leur a permis de rdaliser de grands progrs. Ils ont fair d'importantes commandes en Italic, en Angleterre, surtout en Allemagne. Sous couleur d'organiser une flotte adrienne de commerce, ils sont en train de crder progressi- vement une flotte adrienne de guer.re. A cet effet, a fondde une socidtd commerciale russo-allemande, la socidti - Deroulife, ,, qui doit crder des bases adriennes  Moscou, Smolensk, Orel et Kharkoff. D6jt sontentr!es en service les lignes Kcenigsberg-Moscou et Moscou-Pdtrograde. Bien entendu, seuls les foncfionnaires sovidtiques peuvent profiter de ces voyages adriens, le reste de la population, rdduit t la men- dicitd, n'dtant pas en mesure d'en payer le prix. C'est dgale- ment par avions que se fair le service postal. Outre ces deux lignes, plusieurs autres sont " l'dtude " Moscou-Crimde et Caucase, Moscou-Turkestan, Moscou-Chine et Japon, Moscou- Arkhangelsk, Peitrograde-Mourmansk. Les Allemands vendent aux Soviets des avions des usines Junker et Fokker, munis de" moteurs de 200 chevaux et d6veloppant une vitesse de 150 kilombtres  l'heure, chaque avion armd de 2 mitrailleuses et blindd d'une cuirasse d'acier de 5 millimbtres. D'autre part, et grtce encore aux Allemands qui leur ont eavoy6 des ngdnieurs et des ouvriers, quelques usines russes ont repris le travail et produisent avions et moteurs. Ce sont:  Moscou, l'usine Duks ;-i Pdtrograde, les usines Poutiloff,- qui portent maintenant le nom de Bolchevik,- les usines Gamajune et Oboukhoff. On peut y joindre les usines ndtallurgiques de Kolomno, l'usine de locomotives de Lougansk et la ci-devant usine Anatra, k Odessa. Les avioas de-fabrication russe construits 'k Pdtrograde par ou du hasard : et l'on voit, parmi le hasard ou dans la rigueur de la fatalit6, s'insinuer cet 616ment furtif, la volont6 ou le caprice d'un chacun : spectacle digne de remarque. Puis, la futilit6 se m61e aux graves p6rip6ties. 5ous sommes en plein dans la polilique, et survient le dix-ertissement des beaux-arts, litt6rature, com6die et peinture. C'est M6rim6e qui voudrait 6tre acad6micien et qui ne l'avoue pas sans plaisanterie, parce que la sinc6rit6 est ce qu'un homme de lettres a quelquefois de plus timide. C'est Rachel, qui serait contente si M. Thiers la trouvait  son gofit dans le rSle de l'6nergique et aimable Esther. C'est M. Ingres  qui Thiers propose de d6corer la Madeleine, mais il se plait  Rome et n'a point envie de (t remonter sur le th6htre du monde. ,, Une autre lois, Thiers lui demande, puisqu'il veut rester en Italie, de faire, pour sa collection d'opulent bourgeois, des copies des grands maitres italiens.  J'ai fair beaucoup de copies, r6pond M. Ingres; mais, fi pr(!sent, quand je fais ql, elque chose, je signe Ingres. , Et c'est bien r6pondu. M. Ingre. qui n'est pas commode, autant dire que les beaux-arts se fachent et refusent l'impertinente familiarit6 de la politique. M. Daniel Hal6vy s'amuse de ces anecdotes et puis revient  la politique, ot il s'amuse davantage, ll a vu Thiers journaliste, ennemi des prdtres et des nobles, financier, historien de la Rdvolution, math6maticien, critique d'art, ministre de l'Int6rieur et maitre de la police, ministre des travaux publics, ministre des affaires 6trangbres, italianisant et qui 6crit l'histoire de Florence, organisateur d'arm6es, ing6nieur militaire, historien de lapol6on, orateur  la tribune, habile aussi dans les couloirs du Palais Bourbon, et qui fronde une royaut6, l'abat, pour en fonder une autre, servant celle-ci, la dessero vant, petit et grand bourgeois, et qui sauve la soci6t6, cbimis[e et astronome, et sauveur de la France,.  ce qu'il semble, et lib6rateur du territoire et qui, pass6 quatre-vingts ans, va briguer les suffrages des 61ecteurs parisiens, ll r6dige son manifeste; et, en pleine besogne, il meurt : il avait encore du travail pour longtemps. Qu'est- ce que M. Daniel ltal6vy pense de cet 6tonnant bonhomme? I1 donne, en mani6re de conclusion, cette lettre de Flaubert, qui revient des fun6railles de Thiers :, Je vous assure que c'6tait splen- dide... Je n'aimais pas ce roi des prud'hommes, n'importe! Eompar6 aux autres qui l'entouraient, c'est un g6ant; et puis il avait une vertu rare, le patriotisme. Personne n'a r6sum6 comme lui la France; de 1 l'immense effet de sa mort. ,, Voil ce que pense UNE ENQUTE AUX PAYS DU LEVANT. 2 devenues? Les vainqueurs vous ont-ils islamis6es, ou bien la montagne, ravinde par les pluies et qui ne cesse pas de glisser avec les ddbris de ses fortitieations dans la vallde de l'Oronte, vous a-t-elle ensevelies? Nul ne s'en inquite dans cette petite ville, humble et eharmante, d'Antakiyd. C'est assez d'y jouir de la brise de mer qui rafraiehit eontinuellement l'dtd, et d'aller s'asseoir t l'ombre des mieoeouliers, aupr/s do la rivire. ' Au milieu de ce village, oublieux et replid sur lui-mme, la maison hospitalire du consul. A l'extdrieur, une espce de couvent, et puis on pdntre dans une vaste cour, plantde d'orangers, de ndfliers et de mandariniers. Elle serf, au mois de juin, de salle de rdception, et sue ses tables s'dtalent les journaux, les revues, les livres de France. Nous y avons ddjeund t l'ombre de deux superbes orangers, pour retourner bien rite t notre visite interrompue. Cette fois, nous sommes sortis de l'Antakiyd moderne, pour nous promener sur l'emplacement de la vieille Antioche, parmi des rocailles, des caveaux, des ronces et quelques vergers. Les sicles ont effacd du sol cette superbe citd, qui fur la troisime de l'Empire, la plus belle et la plus dtendue aprs Rome et Alexandrie; et des milliers de chefs-d'(euvre qui la ddcoraient, on ne peut me m.ontrer que deux sarc0phages et la statue d'un inconnu, recueillis darts la cour du sdrail. Sur sa poussire subsiste seule la couronne dentelde de ses remparts byzantins. Leurs dnormes murailles, flanqudes de trois cent soixante tou- relies, suivent d'abord l'Oronte, puis escaladent la montagne. Ils enferment dans leur enceinte quatre collines, nous faisant ainsi souvenir qu'Antioche s'dlevait en partie dans la plaine et en partie sur les hauteurs. Aujourd'hui, beaucoup de tours, PrOs d'Antakiyd et de l'Oronte, ont dr(! rasdes, ou transformdes en maisons, mais routes, ce me semble, subsistent, it partir du point off .la muraille-s'dlive le long des pentes et suit les sinuositds de la mo.ntagne. J'ai errd tout l'aprs-midi dans-ce ddsert oil rien ne guide l'imagination. Que donneraient des fouilles? Contenau distingue mal sur.quels points il les tente- rait. Les repres font ddfaut, les d6bris du pass(! ayant (itd indd- fiuiment repris dans de nouvelles cons.tructions, elles-.!n6mcs ddmolies, puis relevdes, vingt fois. : ,. travers un ehamp de bid, sous les oliviers, les figuiers, ica. UNE ENQU:TE AUX PAYS DU LEVANT. 269 m'attendaient et me conduisirent,  deux pas, k l'hSlel de M me Soulier. Un h6tel dlevd par les soins de la compagnie-du Bagdad, exactement ce que nous aplelons chez nous ,, le Cafd de la gare, ,, tout neuf dans un jardinet dont les arbres sott encore des manches  balais. Quel palais! quel bien-6tre! Je rentre en civilisation. Doisje manger ou dortnir? Dormir. Dans mon premier sommeil, j'entendis la Marseillaise. C'dtaient les Assomptionnistes avec leurs dlbves, qui, ayant appris mon arrivde, venaient me f6ter sous mes fen6tres. La trompette du jugement dernier ou la flOte de Djelal-eddin Roumi lui-m6me ne m'auraient pas mis debout. Mais douze heures plus tard, je ressuscitai. Je sautai k bas de mon lit, j'ouvris les fen6tres pour mieux entendre les oiseaux et respirer un air divin, et l'un de rues plus grands plaisirs commena. Est-il des moyens mdcaniques pour multiplier en nous l'enthou- siasme? C'est un problbme que depuis sept si&les on prdtend rdsoudre  Konia, au rythme des flOtes et des tambourins. Peut- on ouvrir au Codex un chapitre suppldmentaire et dresser une nomenclature d'agents matdriels propres k exalter l'ame? Connaissons-nous d'expdrience certaine ces obscures rdgions de l'6tre oh l'on voit le matdriel et l'immatdriel communiquer entre eux et s'dmouvoir? C'est ici que je m'en ferai une idde. MAUrUCE BArmis. (A suiere.) 28- lEVUE DES DEUX MONDES. Balmat n'a pas eu le temps d'intervenir, mats je devine sa fm'eur. Cependant je distingue dans l'obscuritd deux ou trois lueurs qui bougent" les falots des traqueurs. Des voix me rdpondent, de plusieurs cbtds. Ils se sont dgaillds, pour mieux fouiller la combe. Ils sont lb. Tout de mme, je n'en suis pas fhd. --- Ils vont entrer, Balmat. --- Ils n'entreront pas. -- Vous n'allez pas les en emp6cher ? -- Oh l pas besoin. Le Loup est le loup. Au m6me instant, comme pour lui infliger un ddmenti, on heurte violemment  la porte et, sans attendre la rdponse de l'h6te, un homme pdntre  l'intdrieur, y tombe plut6t comme un bolide. C'est Chavert. Eclatre de bas en haut par le feu, il me parait plus grand qu' l'ordinaire, et sa figure rasde plus anguleuse et plus dure. On dirait qu'il n'a pas vu Balmat, car il vtent i mot tout droit : -- AhI monsieur Charlieu : vous voilk. Ce n'est pas trop tbt. On vous a cru cassd. --Mats non, Chavert, mats non" je suis intact. Aprs la chasse j'ai dtd pris par la bourrasque et je suis entrd ici off l'on m'a sdchd et nourri. Mats le garde ne s'est pas occupd de mon explication. II a pris i la cheminde un tison et le brandit par la croisde ouverte en guise de signal. Le signal a dtd rep!rd : car les cris se rapprochent. Une ombre, puts une autre passent devant la fen6tre. La cabane du Loup est cernde par les traqueurs. Lui cependant, que je suis des yeux, ne bronche pas. II continue de manier mon fusil dans ses doigts experts. I1 regarde Chavert qui ne lui a pas adressd la parole,, qui n'a m6me pas sembld l'apercevoir. Quay a-t-il entre ces deux hommes? Je les revois dcartelant un chamois sans un mot. Cette b6te broyde signifiait-elle une vieille haine? Quel butin, quelle proie se sont-ils autrefois disputds ? Et voici que la meute force le gite. Les chiens, un k un, s'alignenten face du fauve qui, de ses yeux rouges, les ddnombre. Je reconnais Bormand k sa carrure, Maliveau k ia souplesse de son pas. C'est un spectacle de chasse inddit. La curde est-elle prtte h 6tre servie chaude ? Vont-ils aboyer  la mort? Ou le Loup vaincu fera-t-il trite une dernire fois, 286 EVCE D.S D.CX ODS. honte, est suspendu h ma ddcision. I1 attend, lui aussi. En somme, il m'a re:u dans la temp6le, il m'a donnd son gite, son feu, sa nourriture. Il a dtd mon hSte. Vais-je rcconnaitre son hospiialitd en le l'xchant publiquement? Brusqucment je me tourne vers le garde : N Icoutez, Chavert" je suis fatigud. Alors je passerai la nuit ici, puisque Bernard Balmat (j'ai grand soin de lui reslituer son nora d'homme) m'offre un abri. Demain, pas de chasse: les traqueurs se reposeront. Ils en ont besoin. Et je regagnerai le refuge h la premibre heur.e. Cette lois, Chavert a daign6 regarder le Loup. Quel regard', tudieu I J'en ai froid dans le dos. Si les regards tuaicnt, notre h6te serait lh, gisant devant mot. Tandis qu'il est triomphant, notre hSte. I1 a relevd la t6te et sa barbe pointe en avant. II a Fair d'un rot mage qui apporte ses pr6snts. Ma confiance l'a relev6 dans sa propre estime. I1 est redcvenu le seigneur de son palaisde b0is. Ai-je bien agi, dans cette bascule des plateaux de la balance? En somme, pour gagner un affreux criminel, par manibre de vanitd, de jeu ou de dilettantisme, je risque de perdre le garde le plus rdput6 et le plus dvou6, qui s'6tait jet6 dans la nuit et Forage pour me porter secours, et avec lui tous ses camarades qui le suivent au doigt et h l'ceil.  Monsieur est le maitre, me r6pond-il d'un ion menaqant, en marchant vers la porte. J'essaie de le rattraper avec de bonnes paroles:  Donnez un coup de vin aux hommes, Chavert : ils l'ont bien mdri[.d aprs leur double traque et leur randonnde du soir. Mais je ne re(ois aucune approbation. Je rouvre la porte pour crier encore: -- Bonsoir, Chavert. A demain matin, de bonne heure. 11 ne m'adresse aucun adieu. I1 a ddjh disparu. Les tdnbbres l'ont ddvord. Je rentre, et me voil cette fois, sans la possibilitd d'aucune aide humaine, puisque j'ai refus( celle qui m'dtait venue, dans la tanire du Loup, seul avec le Loup. LA comz u LOUp. 28 IV. --,--BERNARD BALMAT, DIT LE LOUP Seul avec le Loup? Mats oh est-il ? Il a disparu quand j'attendais de lui tout au moths un remerciement ou, sinon un remerciement que les paysans n'ont gure accoutum6 d'adresser h personne, une expression de visage, un regard, un signe de gratitude pour i'avoir pr(!fdr(! si injustement k men fidle garde et h ses dgvouds acolytes. A-t-il, comme le diable, le pouvoir de devenir h son gr(! invisible ? Nos verres sent vides et nos pot-tions absorb(!es : il n'y aurait plus qu' gagner son lit, si toutefois sa taniire comporte ce genre de mobilier. Je me penche  la fenbtre; c'est le silence nocturne, troubl6 seu- lement par la voix monotone du torrent descendu des neiges voisines et qui s'en va se perdre lh, tout pris, dans le petit lac. La lune ne va pas tarder  paraitre sur la notre montagne : d(!j ce poudroiement argent(! l'annonce. Sa clartd remplacera dans la chambre celle du feu qui s'dteint. En l'attendant, j'allume la bougie que j'ai tir(!e de. men sac. Elle me serf h mieux distinguer les traits de Bernard Balmat qui surgit enfin de la piece voisine : -- Voilh, M. Charlieu : c'est prof. Sur un matelas il a (!tendu des pcaux de chamois qui ne laissent subsister aucun doute sur ses braconnages, car les longs poils rdvilent la fourrure d'hiver, c'est-h-dire le gibier abattu, quand la chasse est interdite. Lh-dessus je pourrai m'(itendre et dormir. Avant d'accepter son offre, je lui demande s'il a un autre lit. I1 me montre du doigt une seconde porte : -- Je couche de l'autre c5t6. Lh, c'dtait ma fille. Sa rifle? L'accusation d'inceste est-elle une calomnie? Le d(!sir de savoir me tourmente. Au risque de l'irriter h nouveau, -- mats n'ai-je pas conquis le droit d'etre indiscret? -- je reprends :  Votre fille ? Lh-dessous, ils disnt : votre femme aussi. I1 envoie par la croisde ouverte, d'un tit exact, un jet de salive et ddclae simplement : -- Les salauds I Je n'en saurai pas davantage ce soil', car il me souhaite une bonne nuit et me quitte pour s'aller terrer dans son propre gite. Avant de me coucher, j'inspecte les lieux et mme je LA COMBE DU LOUP. 301 -- Connais pas ca Gui[[aume. A trois cents pas il a surpris le Loup, il a tird. Le Loup en porte la marque sur la joue gauche. Mats c'6tait pour lui une blessure de rien. I[ est sorcier : i[ barre le sang. [l a gudri. I[ s'est tu. C'est des choses pour ceux de la montagne. C'est pas des choses pour ceux de la plaine. Des coups parei[s, a ne se recommence pas. -- Et Be[mat? -- Balmat dtait en faute. Balmat n'a pas tird. --- Mais la fille ? La Guiton ? --Faut croire qua Josette la portait d6j quand ella est elide vivre avec le Loup. Faut croire. Mot, je n'y dtais pas. J'ai la cl6 du mystbre ; mats eIIe tourne real et n'ouvre pas. Si Marguerite, dire [a Guiton, n'dtait pas la rifle de Be/,nard Balmat, pourquoi ceIui-ci l'a-t-i[ gardde aprbs le d6cs de Josette au lieu de la restituer au vrai pbre ? La rdponse ne se fair pas attcndre. Une phrase me revient h la m6moire, une phrase et surtout l'accent pathdtique avec lcquel elle fur pro- Inoncde devant mot. Quand le Loup me parla de la Guiton morte en couches, il ajouta : C'dlait tout ce qui me restait d'elle... Elle, Josette, sa femme, la femme, comme il disait avec une adoration qui survivait aux anndes, qui suppldait h l'insuffi- sance du langage. Il avait gardd la fille en souvenir de la mbre. Mats quand ii l'avait perdue tt son tour, il n'avait plus voulu du petit, tils de l'Italien et petit-ills de Chavert. Dbs lots, route l'aventure s'dclaire. Dbs lots, il n'y a plus d'ombre. Nous avons atteint, le mulet, Maliveau et mot, ]a digue qui ferme le lac Lovitel. Pour souffler aprbs la montde, nous faisons halte sous un petit sycomore. Avec une joie de plus en plus vive chaque annde, je cueille du regard le paysage familicr : cette cau verte, si pure et limpide que s'y doublent exactement, en image renversde, les montagnes aux pentes rousses de prds brfilds et blanches de neige au sommet. Dans le fond, je cherche la combe oO ]e Loup, dans les temps, emmena sa proie consentante, cette Jose/re inconnue,- la plus belle fiile de la Bdrarde au Bourg d'Oisans,- qui prdfdra ce bandit tt la vie rdgulire et respectde. Puts nous gagnons en terrain plat le refuge. Mon garde m'aper(:oit et vient i ma rencontre. I1 tient par la main un garqonnet frdtillant et h demi sauvage, qu'il me faudra appri- - voiser, et i! me le prdsente, non sans une ficrtd paternell; 306 BEVUE DES DEUX MODES. France industrielle et philosophique dire : tent mieux, et les m6mes dangers de eontlagration eontinueront t flamber autour d'elle, sans que la dcision des souverains air rien am61ior. Mais que l'Empereur jette le cri de dlivrance, la France du sentiment laissera crier la France des affaires, et courra aux armes. En rsum, les nonarchies sent des lampes mourantes;" il n'y a plus d'huile; qu'on jette un peu de poudre sur la m6che, et eo dernier p6tillement clairera encore de grandes actions., Sans eela, l'ide de Girardin, qui a mille fois raison, satt/ fop- portunitd dent il ne tient jamais compte, ne conjurera pas de grands dsastres pour tous, peuples et souverains. Je erois que tout se tient, men chef Prince, et que nous en sommes en politique, au m6me point qu'en religion et en philosophic. L'difice du pass s'6vanouit, et l'6ditice de l'avenir n'est pas prof. Les monarchies de droit divin vent tomber, et ee ne sere pas encore l'aurore des rpubliques. La raison parle par mille bouehes dent plusieurs sent loquentes et sobres. Girardin en est une, l'Empereur en est une aussi. Mais le torrent grossit, et oeuvre routes les voix. Ceux qui veulent tout d6truire sent tout aussi aveugl6s quo ceux qui croient tout conserver. Tous sent forc6s d'aller en event, llais que font eeux qui veulent sauver du pass ee qu'il a de ben, sans lui permettre d'entraver l'avenir? Ils font comme vous, ils demandent a leur ceur, t leur instinct g6n6reux de rsoudre les questions qui ne peuvent so rsoudre autrement, parce qu'elles ne sent pas mfres. Vivons done encore d'id6es et de volont6s chevaleresques, puisqu'il en faut encore, et que nous sommes loin du jour o/a la raison nous suffira. Bonsoir, et ben an, men cher Prince. Tous les miens vous envoient l'expression de. leur dvouement, et vous savez si le mien vous est aequis. Un mot encore, je erois que la plus vivace dynastic est encore la vbtre: C'est la plus jeune, et son origine rvolutionnaire l'engage dens une voie qui la forcera d'abattre quand mme ee que l'Empereur veut en vain pr- server. Gardez yes forces et votro espoir. I1 y. a un r61e pour vous dens l'histoire i vous voulez, et eela sans conspirations ni coup d'tat, un rble. que nous ne pouvons prciser, et qui se fera par la force des choses, et aussi par votre force  vous, si vous ne laissez, pas 6teindre en vous le feu sacr des grands instincts, et la puissance mgique des grands d6sintressemeats. 3 BEVUE DES DEUX MONDE$. attendre peut-gtre deux ou trois ans, et dans sa position actuelle, M. Bertholdi dolt quitter Deeize. Croyez, chore amie, que je fais tout ee qui ddpent de moi. Dans quelques jours, je vais relaneer les Finances. lerivez-moi si eette combinaison vous agrde? Mille amitids de votre vieil ami, APOLION, Palais-Royal, ce samedi 25 fdvrier. ChOre madame Sand, Je vous envoie une lettre de M. Fould, bier, qui s'est croisde avec une longue note que j'envoyais h M. Pelletin sur M. Ber- tholdi, jointe aux pices justifieatives que vous m'avez envoydes. Fould me demande 'une rdponse ; avhnt de la lui faire, je vous consulte ? Que voulez-vous que je lui derive ? J'ai fair part de votre ddsir h l'alteur de la Vie de Cdsar qui m'a paru trbs tlattd, et va m'envoyer un exemplaire pour vous: il n'en a pas encore donnd un seul, et je n'en ai pas. I1 m'a dit: , Je t'enverrai les deux premiers, pour toi et pour M me Sand. Mille amitids bien affectueuses, votre vieil ami,. NAPOLION (J.n6s). Palaiseau, 27 f6vrier. Cher Prince, J'ai rcqu aujourd'hui le beau volume qui m'a did apportd, je crois, par quelqu'un de votre maison, mais c'est bien de la part de l'Empereur, puisqu'il a bien voulu y mettre son nom. Je vous remercie d'av(Jir si bien prdsentd ma requite, et je vous demande de vouloir bien remercier pour moi l'Empereur de ee prdcieux don. J'ai lu ce soir la moitid : c'est irr@rocha- blement beau jusqu'b, prdsent, et je vais entrer dans la vie de Cdsar, aprbs le clair et large exposd de la situation. Pourtant, je suis b. moitid aveugle d'un coup d'air ; j'ai dtd hier h Paris, mais j'avais un si vilain ceil, que je n'ai pas voulu aller vous voir tom me cela. Chargez-vous de bien remercier pour moi l'illustre auteur. Je suis bien, bien contente; e'est  vous que je dois cela. A vous de eceur. G. NAND. LETTRES DE GEORGE SAND E DU PRINCE NAPOLEON. 3i9 blohanto 4 adt 186"/. Cher Prince, Maurice vous dcrit pour vous rernercier de votre ben secours, et pour vous dire que tout est terrnind tt sa relative satisfaclion. II sauve les derniers ddbris d'une fortune stupide- ment rnangde, et en rnaintenant son pbre t l'dtat d'usufruitier pour une rente de 6 t "1000 ft. (I) il lui assure du pain. Les brigands qui l'entourent, car ce sent des brigands, capables de tout, n'ont plus d'intdrt k assassiner ce triste vieillard; au contraire, pour faire durer la rente, ils feront durer l'homme.. Ceci n'est point une mdtaphore.-Une heure aprbs la signature de la transaction, ils voulaient s'trangler les uns les autres, rant il est vrai que les coquins ne peuvent sirnuler longternps le ben accord. Maurice est revenu de Ndrac, rernpli de tristesse et de ddgot, mais content d'avoir fair son devoir et de s'tre renferrnd dans le calrne du rndpris. Chef grand arni, je ne sais o/a vous trouveront nos lettres. Vous courez, je le comprends. Vous dchappez au spleen qui passe en gros nuages, au moral et au physique, sur notre pauvre France. Hier, avec llaurice, je rangeais des papiers. Je jetais au feu des lettres inutiles, je gardais et relisais, celles que j'airne. J'ai relu routes les v6tres "j'en ai braid uhe seule, celle o/a vous rne parliez avec irritation d'une personne qui vous a peut-tre rnal airnd, rnais qui vous airnait. -- Qu'est-ce qui aime bie d'ailleurs ? qui  rdsolu le problrne de la passion deuce et rnoddrde? Cette lettre intime, je n'avais pas le droit de la garder, ayant brfId [outes celles o/a ron se plaignait de vous. Mais routes yes autres let[res, rnrne celles qui n'ont que troi. lignes, vous ne vous doutez pas d'une chose, c'est qu'e dehors du prix que j'y atlache parce que je vous aline, elles sent les plus belles, les rnieux dites, enfin de beaucoup les plus rernarquables de rna prcieuse collection. Je ne le savais pas rnoi-rnrne. Mau- rice en a did si frappd qu'il rn'a dit " ,, lelis donc tout. Tu vas (1) Le procbs intentd par les enfants de M"" Sand centre leur pre, M. Dude- rant, au sujet de rinterpr6tation du testament de la baronne Dudevant dura huit arts, et se termina par une transaction. D'accord avee ses enfants, M. Dudevant vendit en 186"/, pour 280 000 francs, sa propritd de Guillery. -- II y eut i-19 000 frs en toute propridt pour M. Dudevant, et 130000 francs en hue propridt6 R Mauric et  Solange. --- Dudevant se retira b. Brbast, o il mourut I 8 mars LETTES DE GEOnGE SAND ET DU PIINCE NAPOLEON. 323 monde entier n'est pas trop grand pour vous. Je voudrais tre gar(on, avoir vtngt-cinq ans, et voir avec vous, mats je vois bien que je ne quitterai plus gure le nid, puisque j'y suis tou- jours ndcessaire. Cher grand ami, portez-vous donc  mieuxl J'ai peur que le voyage de Nohant n'ait aggrav(i ce malaise que vous dprouviez ddjh. M me Villot me donne de vos nouvelles, et je voudrais vous envoyer ma santd. A vous bien tendrement, G. SAND. Paris, Palais-Royal, ce 15 mars. Chbre amie, Je suis ddsol(! de la mort du grand artiste, Calamatta; exprimez  Maurice et  votre belle-fille, route la part que je prends  leur douleur. Tout s'(iteint autour de nous, et quand les parents et amis, ceux qu'on aime, partent, que reste-t-il? la tristesse et presque le ddsir de les suivre! J'ai dtd trs souffrant, je me remets  peine. Des projets je n'en ai gubre, sinon de m'en aller  la campagne chez mot, loin des hommes, des dv(!nements, m'enterrer dans mes travaux, dans mes dtudes, oublier le prdsent, ne pas penser  l'avenirl No me souvenir que de mes amis, parmi lesquels vous avez la premi/re place. Embrassez ma filleule. Je vous embrasse et vous aime. Votre vieil ami, 'APOLION Prangins, ce la octobre. ChOre madame Sand, Je repots votre lettre au moment de partir pour une course de montagne. Vous tdmoigter ma rive amitid cst mon plus grand ddsir, voici la lettre pour M. Magne. Elle est courte, mats trbs pressante. Remettcz-la-lui vous-m6me, et puissicz-vous obtenir ce que vous ddsirez et qui doit 6tre juste I Je suis tout bouleversd de la mort de Sainte-Beuve (1) que j'apprends t l'instant! Je suis ddsold! Quelle triste existence que (t) Sainte-lteuv at mort le t3 octobre t869. LETTIES DE GEORGE SAND ET DU PRINCE NAPOLEON. 3- aimons la France et la libertd; comment les mieux sauver routes deux? J'espre quo clans votro centre vous serez prdservds des barbares? Donnez-moi de vos nouvelles. Embrassez ma filleule. Pensez  mot. Votre ami. Ma femme et mes enfants vont bien, j'ai mis l'aind en pen- sion  Vevey, pour lc former. I1 devient un petit eitoyen suisse, en attendant mieux. Nohant, 30 dcembre. Mon cher et grand ami, Je veux vous embrasser au jour de l'an, quand mgmel Malgrg rant de catastrophes, de douleurs et de fatalitds, qui ont fail de "0 une date effroyable dans l'histoire et dans nos existences, je veux espdrer encore, et croire'que nous serons moths malheureux en 18"1. D'ailleurs, l'affection fail toujours des vceux sincres, qui ne prouvent pas leur efficacitd, mats leur fidle sollicitude. Vous me dites que votre consolation pers0nnelle est d'6tre redevenu un libre citoyen. Je comprends cela " j'avais prgvu qu'il en serait ainsi. Nous n'avons pas en France cet alligement  nos peines; nous sommes entre l'oppression dtrangre, et la dictature au dedans, dictature ingvitable aujourd'hui, mats que la rdunion d'une Conslituante en temps utile eflt pu rendre ldgale jusqu' un certain point, et par consdquent, moths rigoureuse. Mats qui sail ce qu'efit produit cette assemblde? Les reprdsentants improvisds de la Rdpublique ont-ils cru fermement qu'elle seule pouvait sauver [e pays ? Ils ont bicn pu se tromper" on n'aime pas les opinions imposdes, et on serait plus patriote, si on n'dtait pas forcd 5. l'6tre. Seulement, je ne crois pas qu'ils aient assumd cette t5che (t celte responsabilitd pour satisfaire leurs ambitions " ce serait un trop mauvais calcul, lls seront emportds avec perle par le premier suffrage universel, qui pourra fouctionner. Au lende- main de Sedan, ils eussent eu des chances; h prdsent, aprs cs qu'on a, souffert, la multitude, gouvernde par les intdr6ts, les maudira, quelle que soil l'issue de la guerre. Elle croira tou- jours qu'on pouvait l'dviter, ou la faire mieux. Qui prononcera? Li oh nous somnes, il nous est impossible de jugcr, ct il faudra messe miraculeuse : Campion remonta immddiatement dans son estime. Elle le consid(!ra avec une confiance nouvelle, si bien qu'il l'imagina disant b. Brant ce qu'elle lui avait si souvent dit b. lui-m6me : ,, Vous n'6tes jamais capable de rien obtenir. Je ne sais vraiment pas comment font les autres. )) La reconnaissance qu'elle faisait paraitre donna au peintre le sentiment g6nant d'6tre m61d b. une tractation clandestine. Il se hhtait de prendre congd, lorsque la porte s'ouvrit de nouveau. Un valet de pied t l'air embarrassd introduisit en hdsitant une jeune femme qui entra pr(!cipitamment, puts s'arr6ta comme si elle hdsitait h son tour. Elle Oait jolie, avec quelque chose de bizarre et d'dchevel(!. Le contraste de sa toilette (!|(!gante et de ses yeux (!gards fit penser Campion b. une gravure arrachde d'un journal de modes et emport(!e au gr(! du vent. Depuis quelques jours, beaucoup de ses compatriotes lui avaient donnd la m6me impression. -- Excusez-moi, Mrs Brant. Vous avez fair dire que vous n'y 6tiez pour personne, mats je n'ai rien voulu entendre... J'avais absolument besoin de joindre Mr Brant, car je suis ici sans un sou.., b. la lettreI -- Elle agita devant elle une bourse en or sertie de pierreries.- Et dans un hbtel off on ne me connait pas[ A la banque, on n'a pas voulu m'6couter, on m'a dit qua Mr Brant n'(!tait pas lb., ce qui n'dtait probablement pas vrai. Alors, j'ai dit au caissier : C'est bien, j'irai done avenue Marigny, je forcerai sa porte.., h moths que vous ne prdfdriez que je me jette dans la Seine ? -- Oh l Mrs Talkett .... murmura Mrs Brant. -- S(!rieusement, c'est la bourse ou la vie I continua la jeune femme en riant avec affectation. -- El|e se tenait entre eux deux, artificielle et cependant naive, consciente d'6tre intruse, mats visiblement accoutum(!e t ce qu'on lui pardonnfit ses intrusions. Ses grands yeux se tournrent vers Campion. -- Je suis sfire que mon mart fera tout ce qu'il pourra pour vous. Je vats tdldphoner, dit Mrs Brant. Puts, s'apercevant que la visiteuse continuait h regarder Campion, elle ajouta :--Non I ce n'est pas... C'est Mr Campion. --John Campion? Je l'avais devindl -- Le regard de Mrs Talkett devint avide et brillant.- J'aurais dfi vous reconnaitre tout de suite d'aprbs vos photographies. J'en ai une !pingl(!e au mur de ma chambre. Mats j'dtais si agitde en REVUE DES DEUX MONDES. cnh'ant...- Elle retint la main du peintre dans la sienne.-- Je vous en prie, pardonnez-moil Voil des ann6es que je r6ve d'avoir mon portrait par vous... Je fais un peu de peinture moi- n6me... mais c'est ridicule de parler de cela en ce moment. --Elle ajou[a, avec un air subitement intimidd : -- J'ai fair la connaissance de votre ills h Saini-Moritz. Nous nous sommes beaucoup vus lh-bas, et aussi h New-York l'hiver dernier. -- Je l'ignorais.., dit Campion, en s'inclinant gauchement. , Que routes les femmes sont sottesl, grommela-t-il en descendant l'escalier. Comme il arrivait Place de la Concorde, on criait l'ddilion de trois heures. Ayant achetd un journal, Campton apprit le passage des Allemands  travers ]e Luxembourg et l'invasion de la Belgique. Violant le droit des gens, ils marchaient sur la France et sur l'Angleterre par la route qui leur semblait la plus accessible. A l'hbtel, il trouva George d6vorant le m6me journal : le jeune homme 6tait rouge de colbre. , Les inftmes gredinsl Les brigands I Ce n'est pas la guerre, c'est de l'assassinat I )) Les deux hommes se regardbrent. Les m6mes mo[s leur vinrent aux |vres. (( Jamais, non jamais, l'Angleterre ne permettrait une pareille violation du droit des gens!)) Simultandment Campion et George commenc/rent h dire que rien de mieux ne pouvait arriver : si la moindre h6sitation, la moindre rdpugnance se manifestait dans l'opinion anglaise, pareille violence la balayerait immddiatement. -- Pour une fois,.ils ont trop bien manceuvrdl exulta George. La France est sauvde. Voil qui est stir. Tous deux se turent de nouveau, chacun suivant ses propres pensdes. C'6taient apparemment les m6mes, car au moment oi Campton allait demander quel endroit George avait choisi pour y faire leur dernier diner, le jeune homme dit brusquement : -- lcoute, papa, j'avais projet(i un petit tte-h-t6te pour nous ce soir... -- Oui... eh bien? --Eh bien! je ne peux pas. Il faut que je te lche...- il eut un sourire g6nd,  pour des gens que je viens de rencon- trer,..., qui ont 6t6 extr6mement gentils avec moi  Saint- UN rLS AU troNr. s'inquidter sdrieusement. La crainte l'avait un instant saisi  la gorge, tout k l'heure, quand il avait entendu sangloter cette femme ; mais ddjk il s'en dtait ddlivrd. Tout le monde s'accordait h dire que la guerre serait terminde dens quelques semaines; avec la protection de Fortin et lea inlluences qu'Anderson Brant pourrait faire agir, George dtait en sOretd, --aussi bien en s6retd b. son ddp6t que n'importe oh. Campton versa du card  Ad/le. -- Savez-vous par hasard chez qui George dinait hier soir? demanda-t-il soudain. Miss Anthony connaissait tout des choses et des gens dana le monde amdricain de Paris; si George avait eu des raisons particulibres de passer sa dernibre soirde loin de sa famille, elle ne devait probablement pas lea ignorer. Mais le fair m6me qu'elle e6t des chances de savoir ce que son ills lui avait cachd donna  Campton le sentiment d'avoir posd une question indis- cr/te; il se hta d'ajouter : --Ce n'est pas que je veuille... Elle parut surprise. --Non, il ne re'a rien dit. Quelque affaire de jeune homme, sans doute... Elle sourit d'uri air entendu, le tixant de sea yeux sans cils, qui clignaient sous la voilette relevde. Campton n'attachait ddjb. plus d'intdrt  sa question. Rien ne l'irritait plus que lea minauderies d'Adble, et il s'en voulait de l'avoir interrogde. Ce qu'il souhaitait savoir, c'dtait si George avait parld t sa vieille amie de sa situation, de sea intentions et de ses d6sirs, pour le cas fatal oh,  selon l'expression vague qu'emploient lea gens, comme pour se concilier le destin,  quelque chose arriverait. Le jeune homme avait-il laissd une lettre, un message pour quelqu'un ? Mais t quoi bon faire des conjectures ? Si George avait prls des dispositions, Ad/le Anthony, avec sa fiddlitd indbranlable, ne le trahirait pas, m6me par un mouvement des paupi/res. Quand il s'agissait de garder un secret, elle prenait un tel air de stupiditd impdndtrable, que l'idde ne vous sdrait m6me pas venue qu'on eOt jamais pu se confier k elle. Gampton ne ddsirait pas surprendre lea secrets senti- mentaux de George, si celui-ci en avait. 3lais leurs adieux avaient dtd si ddsespdrdment anglo-saxons, si sees, d'une telle UN FILS AU FBONT. 3 -- II ne m'a pas dit le contraire. Vous ne paraisez pas v)us douter que la correspondance militaire est censurde et qu'un soldat n'est pas libre de ddbiter tout ce qui lui passe par la t6te. Il avait si souven[ expliqud " Miss Anthony ses sentimenls que les roots lui remontaient aux lvres sans effort. --S'il s'diait agi d'une question nationale, st, par exemple, l'Amgrique avait dd combattre le Mexique... -- Out, ou la lune[ Pour ma part, je comprends mieux Julia et Anderson. Ils se fichent pas real des questions natio- nales, ce sont des animaux qui ddfendent leur petit. -- Ler! merci bienl s'dcria Campton. -- C'est que, vdritablemen[, ce pauvre Anderson a servi de bonne " l'enfant. Quel autre pouvait s'en occuper? Vous pendant ce temps-lk, vous peigniez des beautds espagnoles. Elle frona les sourc[Is. --La vie est une dnigme. Si vous aviez tout abandonn5 pour garder George, vous ne seriez jamais devenu l'illustre John Campton, le vrai John Eampton, celui que vous deviez tre. Et (faurait dtd:regretiable pour vous,- et aussi pour George. Seulement, en attendant, il fallait bien quelqu'un pour lnoucher l'enfant, pour payer le dentiste et le mddecin. Vous devriez tre reconnaissant i Anderson de l'avoir fair. Campton ouvrait la bouche pour rdpondre, quand il vit Addle changei de visage. II comprit pourquoi. Tous les visages prenaient maintenant cette m6me expression, i l'heure oh arrivait le journal du soir. La vieille bonne l'apporta et attendit pourentendre la lecture du communiqud. Miss Anthony chercha vainement son lorgnon. D'une main tremblante, elle passa le journal i Campton. , De .violentes attaques ennemies dans la rdgion de Dixmude, Ypres, Armentires, Arras, dans l'Argonne et sur les avancdes du Grand-Couronnd de Nancy ont dtd repoussdes avec succs. Nous avons repris le village de Soupir prbs de Vailly (Aisne) ; nous avons pt'is Maucourt et Mogeville, au Nord-Est de Verdun. Nous avons progressd dans la rdgion de Vermelles (Pas-de-Calais) et au Sud d'Aix-Noulette. Des attaques ennetnies sur les llauts de Meuse et au Sud-Est de Saint-Mihiel ont !galement did repoussdes. (, En Pologne, la relraite autrichienne devient gdndrale. Les dents comme un sifflement), de m'en aller h l'autre bout du nonde et d'user du poids de mon autoritd et de mort expdrienca en faveur d'une pareille cause l II serra le poing et le tendit avec fureur vers un ennemi invisible. -- Toute mon influence, si j'en ai, route mort expdrience, ---j'en ai maintenant, Campton l -- j'en userai jusqu' mort dernier soupir pour ddmasquer ces gens, pour crier au monde ce qu'i|s sont, pour ameuter l'opinion en Amdrique, contre un peuple de sauvages qu'on devrait chasser de la terre comm une vermine,- |a vermine de leurs propres cachotsl ll fallut un certain temps pour que se calmat cette colre et que surgissent, par fragments, de ces profondeurs tumultueuses quelques indications sur ce qui dtait arrivd depuis h Mr Mayhew et sur ses intentions prdsentes. Campion finit pourtant par apprendre que, tidement accueilli en Amdrique, il diait revenu en Europe, afin de rassembler les tdmoignages d'autres victimes de la brutalit(!allemande. Bref, Mr Mayhew comptait se spdcialiser dans les  atrocitds. )) Il attendait de Campion qu'il l'aidSt, et notamment le mit en rapports avec des per- sonnes s'occupant des rdfugids qui pourraient, le renseigner sur des violations ilagrantes du droit des gens. Campion griffonna un mot pour Addle Anthony et se chargea de s'informer pour savoir h qui Mr Mayhev devrait s'adresser pour tre autorisd h visiter le front. Alors seulement Mr Mayhew trouva le temps de rdpondre aux questions que Campion lui posait sur son neveu. Il raconta que le jeune homme, n'ayant pu s'engagcr dans l'armge fran(:aise, avait r(!ussi  gagner l'Angleterre. Lh, s'diant fair passer pour Canadien, il dtait entrd dans un rdgiment anglais, et au bout de trois mois d'instruction, venait d'etre dirigd sur le front. Ses parents avaient remud ciel et terre pour obtenir de ses nouvelles, mais Benny les avait si bien ddpistds qu'ils n'avaient rien pu savoir avant qu'il s'embarqut avec son ddtachement. La pauvre Madeleine en avait presque perdu l'esprit, mais Mr Mayhew avoua qu'il mdprisait ces faiblesses de femme. --Benny-est un homme, il doit agir en homme. Ce gar(on, Campion, a .vu les clmses comme elles sont ds le premier jour.: .. IEVUE DES DEUX MONDES. il aurait sans doute dissimuld sa profonde indiffdrence sous une profession de foi individualiste, et l'affirmation que tout homme a le droit de vivre ou de mourir comme bon lui semble. Et voil ces Davril qui avaient ddj offert  la France l'6tre le plus tendrement aimd et qui demandaient  donner tout le reste I --Je ferai ce que vous voulez, bien entendu, dit-il, mais je n'entends pas grand chose aux ddtails. Ne feriez-vous pas mieux de consulter quelqu'un d'autre ? Oh! c'dtait ddj fair : elle avait indiqud les grandes lignes de son plan h Miss Anthony et h Mr Boylston, qui l'approu- vaient. Tout ce qu'elle demandait, c'dtait le consentement de Campton. I1 le donna avec d'autant plus d'empressement lorsqu'il apprit que, pour l'instant du moins, on n'attendait pas davantage de lui. Pourtant, ces premiers pas dans la bien- faisance l'effrayaient indiciblement; il se rendait compte qu'il aurait beau rdsister, il allait falalement perdre pied sur le bord- de l'abime qui s'ouvrait devant lui. 11 sondait cet abime du regard, de plus en plus souvent h mesure que passaient les jours. II commenait h sentir que la pitid dtait le seul lien qui le rattacht h ses semblables, la seule barrire qui le sdparat de l'affreuse solitude oh il retombait en rentrant  l'atelier. A quoi aurait-il bien pu songer, seul au milieu de ses tableaux inachevds et de ses souvenirs brisds, si ce n'est aux besoins, aux souffrances des hommes plus dprouvds que lui ? II prdfdrait ne pas penser k son propre avenir. George dtait en s6retd; mais ce que George et lui seraient l'un pour l'autre, l'dpreuve une fois passde,-nieux valait ne pas se le demander. De plus en plus il considdrait la sdcuritd de George comme un fair acquis, comme un terrain solide d'oh il pouvait tendre la main aux milliers d'hommes qui se ddbattaient au fond du gouffre. Tant que le sort du monde dtait dans la balance, chacun avait le devoir de mettre dans cette balance tout ce qu'il possddait d'intelligence et de force. Campton se demandait comment il avait jamais pu penser qu'un accident de naissance, un simple dloignement gdographique lui permet- taient de se tenir moralement k l'dcart. Dans la chaleur de sa conversion, Campton ne marchandait plus les heures h Mr Mayhew. II conduisait patiemment son LE CENTENAIRE DES NOUVELLES MIDITATIONS. .89 Naples; pressd par le minislbre de courir t son poste, il obtient tout juste un surs.is pour se .marier. Il vole vers Chambdry, oh il dpouse Marie-Anne-Ilisa Birch, celte jeune Anglaise qui, depuis .hull mois, a, ddployd rant d'obstination pour.vaincre les refus d'une mbre enl6tde.; .tout de suite, entre sa jeune femme et la solennelle M m" Birc.h, 5. laquelle il ne garde point trop de rancune, il s'achemine,vers sa rdsidence officielle -  Que les temps sont changdsl )) dcrit-il  un ami au cours de cet heureux voyage... Et changde avec eux l'fime douloureuse du pob[e! Elle s'dpanouit sous le triple rayonnemen[ du succ6s, de la gloire, de l'amour... L'amour et son voluptueux souvenir, il le retrouvait.par- tout en cetie Naples oh, pendant les premiers jours d'aofit, il installait sa sdrdnitd conjugale. Neuf ans plus tbt, ne s'y dtait-il point laissd aimer de la gracieuse et fragile adolescente qu'il avail surnommde d'abord Elvire, en se-comparant peut-6tre h don Juan, et qu'il devait plus lard appeler, pour la postdritd, Graziella? Le fant6me de cette premiere Elvire surgissait devant chacun de ses pas ; et il la retrouv.ait malgrd lui, dans la ,, bonne petite perfection de femme ,, dont le ciel venait de le pourvoir I Autour d'eux, au. surplus, dclatait la fderie de la lumiro italienne ; de m6me .qu'en 1811 elle avail aisdment vaincu les brumes d'Ossian dans l'me du romanesque voyageur, elle dissipait du premier coup, en 1820, tous les nuages que l'apprenti diplomate avail apportds, malgrd lui, des rdgions septentrio- nales. I1 est, d'ailleurs, un peu plus confortablement installd qu'en 1811; il habite un bel appartement meubld, , avec dcuries et remises )) h Chiaja, au bout de la villa Reale; il a ,, la mer i ses pieds, le Vdsuve et Pompdi i sa gauche, k droite la colline du Pausilippe couverte de verdure el. de villas ,, ; et dans son ravissement il affirme  Virieu " , Naples et le golfe de Baia, et le Pausilippe sont incomparab.!ement plus beaux qu'ils ne l'dtaient dans nos souvenirs mmcs. C'est le pays des sens, e[ c'est ce que nous voulons... ) L'amour, dd.ci.ddment, le plus direct et le plus simple, l'amour sans inquidtude et sans remords, l'amour off l'esprit ne participe que juste pour le comprendre et pour le toldrer, .-- le grand dlan du cceur et de la chair qui pousse les/tres jeunes " s'enivrer d'une mutuelle exaltation, le voil qui, plus fort qu'en BEVUE DES DEUX MONDES. IV.  t( NOUVELLES MIDITATIONS POITIOUE$ } Aprs avoir annonc6 au fidble-Virieu cctte s6rie de bonnes nouvelles, le pobte-diplomate, dans sa leitre du 15 fdvrier 1823, ajoute, mi-badin, mi-s(!rieux : (( Puisque mon livre est vendu, il a bien fallu le faire, et je m'y suis done mis depuis quelques jours. Cela va grand train. J'ai d(!jt environ le hombre de vers spdcifid, h peu de chose prbs... )) Ddj ? en quelques jours ? Cette facilit6 aurait un caractre miraculeux l... Mats la confidence de Lamartine signifie simple, ment qu'il a compt6,- grosso modo !- le nombre de pomes dont il peut disposer, qu'il a chiffr6 leurs vers, qu'il a compl(!td, (h et lh, un d6veloppement; au reste il a commencd, depuis quelques jours, aussi, d'(!crire un poime nouveau qui dolt tenir sa place dans le volume; c'est, explique-t-il, le m6me 15 f.vrier, h Virieu, ( un chant sur la mort de notre ami Socrate, )) un chant qu'il ( m6dilait depuis six ans,, et auquel la lecture du Plddon (( l'a fair repenser... )) II baigne en plein courant platonicien. Son ami Fr(!minville, brusquement, l'y a replong(!. Cet ancien sous-prdfet de l'arrondissement de Rome, ce conseiller de prdfecture du Rhbne est venu en cong6 h Paris au milieu dl mois de ddcembre; ila ( ddcouvert ), le porte en son apparte- ment de la rue Saint-IIonord; souvent il vient lui demander k diner. Les deux amis prolongent la soir(ie en rappelant les heures d'autrefois,.- celles de 1811 et de 1812, off Frdmin- ville connut Lamartine en Iialie,- celles de 181 off il le retrouva h Paris; ils allaient alors disserier de Platon sous _le c/dre du Jardin des Plantes, -- de Platon grand thdoricien de l'immortalit6,-philosophe insIir6 de l'inspiration po(!iique, de Platon vers qui la pens(!e de Lamartine s'est envolde plus d'une fois dans le terrible aulomne de 181, quand il craignait de pe.rdre Julie Charles ; maintenant que la perte de son ills vient de.l'affliger et que son angoisse rbde autour de ]a mort, n'est-il point naturel qu'il remonie au philosophe des consolations et des espdrances ? Frdminville lui fair lire le P/ddon, lui lit des essais platoniciens qui l'enthousiasment, qu'il trouve (( neufs,. importants, beaux, vraisemblables .... )) Ddcid6ment, Platon cst (( son type. ), I1 projette d'insdrer dans son nouveau livre une- 22 wvuw ws wux n'exislaient en approvisionnement. On n'avait jamais pens6 que l'ennemi p0l, franchir la frontibre. Et k l'heure cril,ique, par une conjoncl,ure invraisemblable, on se trouva dens l'impossi- bilild de tirer aucune carte de la France. Dans la panique qui suivit nos premiers revers, le g6ndral Hartung, chef de l'6tat- major, ordonna d'envoyer en province les planches de cuivre de la carte de France. Ce travail fur confi6 t un employd du Ddpbt de la Guerre qui, aprbs avoir emballd le tout dans centcinquante caisses, les expddia sur Brest. Sage prdcaution...  condition toutefois de ne pas 6tre tenue secrbte au point de rester ignorde. jusqu'k la fin des hostilitds, par lea ministres de la d6fense nationale  Paris et k Tours. , Les cartes manquaient absolu- ment, dit M. de Freycinet, dens son ouvrage /a Guerre en province, eependanl, il en fallait, et pour l'armde et pour l'administration. ), Aprbs l'essai de divers et mddiocres expd- dients, on soffit enfin de cette d6tresse grace  la d6couverte, chez la veuve d'un officier supdrieur, d'un album complet de la carte d'dtat-major. Alors, rant bien que mal, el, de route urgence, on installa h Bayonne un atelier de reproductions phot0gra- phiques qui permit, dens les quatre derniers mois de la campagne, de disiribuer quinze mille cartes aux 6tats-majors. Au mois d'aofit 18"/1, les cent cinquante caisses de planches de cuivre revenaient de Brest au ministbre de la Guerre (l). Les consdquences lamentables du manque de carl,es en 18"/0 montrbrent pdremptoirement que le Service gdographique 6fair l'un des rouages essentiels de la d6fense nationale. Aussi lorsqu'en 18"/, il s'agit de rdorganiser l'armdesur de nouvelles bases, on reconnut la ndcessitd de crger, comme il existait en Allemagne, un 6tat-major gdn6ral chargd de prdparer pour le jour voulu, la meilleure mobilisation de routes nos forces. Dens cette conception, le nouvel 6tat-major g6n6ral s'incorpora les spdcialitds de la gdoddsie el. de la topographic en son cinquibme bureau. Semblable 6tait  Berlin l'organisation du Service gdographique militaire (Landesau/nah, me), avec cette diffdrence qu'on y employaitautant de fonctionnaires et agents civils que d'officiers et sous-officiers. Le cinquime bureau ne tarda pas i devenir le Service gdographique de l'armde dont le statut se rdsume en ces termes. ,, Assurer ds le temps de paix, Colonel Berthaut, la Carte de France. ltude historique, I, 2"/6. LE SEIVICE GIOG1APttIQUE DE L'ARIE. 423 l'approvisionnement en cartes de mobilisation conformment aux dispositions arrtes par le haut commandement. Renouve- let cet approvisionnement au cours de la campagne ainsi que fournir l'arme de routes les cartes spciales ou nouvelles dont elle pourrait avoir besoin. Possde par consequent le materiel et les rserves de papier ncessaires, et avoir tudid t l'avance les moyens d'augmenter, le cas chant, la production. Enfin, avoir prdvu les dispositions  prendre au cas d'vnements contraires qui obligeraient [e Service gographique de l'armde . quitter Paris.  Comme chefs du service institud sur ces bases, continuant les travaux de la triangulation de route la France et activant la cartographie de l'Algdrie, de Tunisie et du Maroc, les colonels et gdndraux Perrier, Derrecagaix, de la Noi, Bassot, Berthaut, se succddbrent jusqu'au t "r novembre 1911, date laquelle le colonel Bourgeois en prit la direction pour la gardct" jusqu'en 1919. LA R]ORGANISATION DES SERVICE$ Ce qu'il est permis d'appeler la chance fran(aise voulut qu'h l'heure de la guerre formidable de 191, se trouvassent, aussi bien  la t6te des armdes que dans les autres services, des gdnd- raux d'une incontestable supdrioritd, prddestinds en quelque 3orte  assurer la victoire de leur pays dans la conjoncture la plus dangereuse peut-6tre de son histoire, l[ien de plus caractd- ristique t cet dgard, que la prdsence, h point nommd, du gdndral Bourgeois, au Service gdographique de l'armde. Qualifid d'abord par ses connaissances techniques qui devaient le conduire bientbt  l'Acaddmie des Sciences, il avait le don rare de l'administrateur qui, off qu'il passe, remet routes choses dans l'ordre le plus parfait, ayant saisi d'un coup d'ceil les points essentiels et les ddtails secondaires. Si prdcieux que ffit cet dquilibre d'esprit, il n'aurait cependant pas suffi. Aussi ndcessaire dtait ce que le gdndral Bourgeois possddait  un degrd supdrieur : le courage d'engager sa responsabilit6 personnelle, pour rdsoudre d'urgence les questions imprdvues qui allaient jaillir du hasard des chocs d'armdes. Des yeux solidement ouverts, trait saillant de sa physiono- mie, r(ivlent sa volontd inflexible de rdaliser son dessein. Et 2 BEVUE DES DEUX MONDES. personnel, mixte en quelque sorte, qu'il fallut parer  ce qui se peut appeler le branle-bas de mobilisation. Grace au tableau de travail dtabli en temps de paix pour les jeers critiques, on dchappa aux retards presque indvitables dans des op(!rations multiples, compliqudes et encore inaborddes. En quarante- huit heures, deuxi/me et troisi/me jours de mobilisation, on prdpare les stocks importants de cartes et les agencements des bureaux cartographiques k inslaller au grand quarrier gdndral, et  chacun des quartiers gdndraux d'armde. Le quatri/me,iour, des automobiles de rdquisition arrivent rue de Grenelle; en une demi-journde plus une nuit, elles sent amdnagdes en bureaux-magasins, puts chargdes; et le cinqui/me jour,  la premiere heure, elles sent pr6tes  partir avec le deuxi/me dchelon des quartiers gdndraux auxquels elles appartiennent. Pendant ce temps, afin de subvenir au remplacement jour- nalier des cartes perdues ou ddtdriordes dans les marches et les batailles, les presses de la rue de Grenelle roulaient au fracas de leurs cinquante-quatre mille coups par jour, c'est-i-dire autant de cartes tirdes en noir. D/s le 10 aodt, il apparut clairement que les Allemands ne se bornaient pas  traverser le Luxembourg, mats qu'ils des- cendaient  marches forcdes, par Aix-la-Chapelle et la Belgique. De cette manoeuvre, il rdsultait que le champ des opdrations allait peut-6tre s'dlargir k l'Ouest. Cette supposition ne tarda pas k se changer en rdalitd. Le 13 aoht arrivait  Paris l'officier cartographe de la 5o armde, avec mission de rapporter d'urgence des cartes permettant d'dtendre plus  l'Ouest le front de cette armde qui tenait notre aile gauche. Le directeur du Service g(!ographique qui, depuis deux ou trois jours, pressentait la possibilitd de cette demande, avait combind les travaux dans ce sens et fur en mesure de satisfaire immddiatement b. la requ6te du gdndral de Lanrezac. " L'dchec du plan 17 et la retraite de Charleroi entrainbrent la modification des dispositions prises i l'arrire, notamment - celles qui conc,ernaient le Service gdographique. Son centre de distribution, comme son nom l'indique, devait 6tre en un point correspondant  la ligne du centre-des armdes combattantes. Dans le cas de l'action principale, dans l'Est, sa place dtait i Paris, ensuite  Tours, si l'on redoutait l'investissement ..de la capitale. Pr(!visions aujourd'hui ddroutdes par le mouve- L SEIVICE GIOGRAPHIQUE DE L'AII. sitds se ddroulant en certains endroits sur neuf lignes et plus. Cette ddfense massive ddpasse quelque peu les limites de la prudence. Elle tdmoigne, chez notre adversaire, plut6t une inquidtude,jamais apaisde qu'une grande confiance dans sa marche en avant. Les figures ci-contre A et B reprdsentent dans leurs cadres le mgme espace de terrain: (A) au 80000e, c'est-h-dire un centimbtreetdemi carrd pour un kilomlre carrd, sur la carte d'dtat-major, la seule carte de mobilisation que nous possddions en 1914 ; (B) au 20 000 e, c'est-h-dire vingt-cinq centimtres carrds pour un kilom/tre carrd, sur le plan directeur de gwrre (ou nouvelle carte) qui, du jour de son apparition, fur d'un emploi constant, et donna, durant route la campagne, satisfaction complete aux artilleurs, aux altars-majors et aux autres armes. Un simple coup d'ceil suffit pour voir que, sous peine de crder l'inddchiffrable, on ne pouvait reporter en A routes lea indica- tions donndes par le plan directeur (B) qui mdrite k tous les dgards le nora de vraic carte, de carte technique par excellence En outre, lors,3ue les ddfenses allemandes se multiplirent davantage, on dtablit une carte seize fois plus grande encore que B. Cet agrandissement a permis de montrer, de la faqon plus claire, l'eusemble de l'organisation ennemie jusqu'en .sea moindres ddtails : mitrailleuses, lance-mines, rdseaux de ills de fer, chevaux de frise, lignes tdldphoniques, chemins de fer vote dtroite, postes de commandement d'officiers de tous grades, abris, tranchdes et boyaux de route importance. On comprend de quelle valeur inestimable dtait, au moment d'une attaque d'infanterie, ce document grace auquel notre plus jeune aspi- rant ou l'humble sergent en savait presque autant que le grand quarrier gdndral allemand. Quelque diligence que l'on apportt matdriaux recueillis de tous c6tds : au cadastre, aux bureaux des compgnies de chemins de fer, aux services des forgts et des canaux, ce n'est que vers septembre 1915, au moment de notre offensive de Champagne, que commenchrent  gtre rdpandus sur le front des plans directeurs parfaits. C'est que, malgrd tout le zle ddployd, on avait rencontrd des difficultds qu'on ne pouvait tourner. Le classement mtho- dique des dldments venus de part et d'autre, leur ajustement -436 Evu. DES DEUX MONDES. ct la construction de la carte constituaient d(!jh une besogne ddlicate et longue. Ensuite, le plan une fois dressg, il fallut organiser un service de mise h jour; car chez nous comme chezl'ennemi, les emplacements de troupes avec leurs ouvrages ddfensifs se modifiaient  tout instant sous la pression adverse. II importait de les noter sur la carte. A cet effet, furent installds, auprs de chaque corps d'armge, des offices de reproduction qui fournissaient journellement les graphiques rectificatifs  transcrire au plan directeur. Ces rectification comprenaient les observations nouvelles recues de routes parts, principalement du service agronautique. Celui-ci, pour la seule bataille qui nous rendit maitres du Mort-Homme et de la cote 30, ne donna pas moths de cinq mille six cent quatre-vingts clichds photographiques, en aofit et septembre 191. Avec son activit(i ordinaire, le Service gdographique parvint h livrer les quantits suivantes de plans directeurs : en t91, trois cents ; en t9trl, neuf cent treize mille; en t9i6, trois millions cinq cent sept mille; en 91, quatre millions quatre cent vingt-sept mille; en 1918, quatre millions quatre cent soixante mille. Ce rdsultat (!tonnant par lui-mme le devient plus encore, si l'on songe que rien de ce qui gtait relatif  une extension du (( canevas de fir , n'avait (!td envisag en temps de paix. Il n'existait nulle part de personnel prdpard b. ce genre de travail. Il fallut prdlever, dans les corps, un par un, les militaires que leurs occupations dans la vie civile rattachaient plus ou moins dtroitement aux arts du dessin et de la topo- graphie. Une exccllente source de recrutement se trouva parmi les architectes et les g(!omtres. Un certain contingent provint aussi des dessinatetrrs indust*iels dans tous los genres : m(!ca- nique, (!toffes, broderies ou dentelles. Dans le nombre, se rencontrrent mime des artistes-peintres, des sculpteurs dent quelques-uns dtaient des prix de Rome. Ces col!aborateurs venus de routes les branches de l'art et de l'industrie se distingurent par une extreme bonne volont(!, sans laquelle on n'aurait pu aboutir, car tout (!tait nouveau en cette affaire, pour les chefs comme pour les subordonnds. Ddchiffrer un clichd obtenu en avion, y ddceler les batte- ries, les abris de munitions, chose difficile en sot, le devenait chaque jour davantage en raison de ce que le camouflage se. pcrfectionnait par des procddds de plus en plus ing(!nieux, LE SERVICE GIOGRAPHIQUE DE L'AI3IE. 39 heureuse idde du colonel ivelle qui soumit la question . l'un de ses subordonnds, astronomo de l'Observatoire de Paris, amend sous ses ordres par le hasard de la mobilisation. C'dtait . le brigadier Nordmann, promu successivement mardchal-des- logis, puis sous-lieutenant. Le brigadier Nordmann fur donc le premier qui imagina un appareil de repdrage par le son. Tout le monde a vu, dans les bureaux de poste, le tgldgraphisto frapper, sur le bouton d'une parle articulde, des coups qui impriment des signes sur un ruben de papier. Supposez que ce ruban soil divisd en secondes, par exemple; le coup tapd par un observateur ou un dcouteur se marquera sur l'une de ces divisions. Tels sent les rudiments dent s'est servi le brigadier bTordmann pour construire un appareil composd d'une pendule  secondes, en connexion 61ectrique avec un chronographe ac[ionnant des plumes ou aiguilles enregistreuses; celles-ci poinleront sur le ruban l'instant exact-de la perception b. chaquo poste d'dcoute. Ces 61dments deviennent les facteurs principaux de la ddtermination du point de d(ipart du son. Le colonel bTivelle no fur pas seul  se prdoccuper de la question du repdrage par le son. Dbs le 20 septembre 191-, le Service gdographique, alors t Bordeaux, recevait de hi. Esclan- don, astronome h l'Observatoire et professeur t la Facultd des sciences de cette ville, un mdmoire trbs complet, spdciiiant en embryon la plupart des perfectionnements qui ont donnd plus lard le meilleur rdsultat auquel on soil arrivd. M. Esclangon indiquait mdme qu' l'Institut Marey on trouverait les instru- ments ndcessaires h. l'expdrimentation de ses iddes. Par une coincidence curieuse, dans le courant d'une semaine, t trois ou quatre .iours pros, le Service gdographique dtait saisi (l'attres propositions concernant le repdrage par le son. Elles dmanaie,t de M. Driencourt, ingdnieur hydrographe de la marine et du colonel Ferrid, directeur de la .tdldgraphie sans ill. Dans le m6me temps, M. Painlevd, prdsident de la commission des inventions, soumettait au ministre de la Guerre, qui les trans- mettait au gdndral Bourgeois, les essais fairs  Paris par M. Nordmann. L'iddeparcourut-elle le monde scientifique ou naquit-elle spontandmeni dans les cerveaux qui tous n'aspiraient qu' seconder les efforts de la ddfense nationale? Toujours es|-il qu'en ce mois de scptembre 191, le problme du repdrage par BEVUE DES DEUX MONDES. le-son dtait dtudid par une ldgion de savants, parrot lesquels, mis  part les spdcialistes du Service gdographique, il faut se borner i citer : MM. 5ordmann, Esclangon, Driencourt, Ferrid, Georges Claude, Pierre Weiss, Cotton, professeur i la Sorbonne, Dufour, professeur au lycde Louis-le-Grand, l'abbd Rousselet, professeur au Collge de France, Imile Borel, sous-directeur de l'Icole normale, et au nombre de nos amis, imbus dgalement de notre iddal, M. Bull, physicien anglais, attachd  l'Institut Marcy. Ce fur une fivre d'activitd dans les laboratoires et en plein air. Les uns demandaient au gouvernement de Paris qu'on tirat pour eux des coups de canon  blanc; d'autres s'dvertuaient  faire des essais ingdnieux, tel M. Dufour qui, impatient de vdrifier ses conceptions, observait, dans les ddpen- dances de l'lcole normale, rue d'Ulm, les battements d'une grosse caisse. Pendant que se poursuivaient ces divers travaux, la rdalisa- tion obtenue par M. 5ordmann dtait utilisde sur le front. Elle donnait des rdsultats, sinon parfaits, du moins fort apprt!ciables. Une premiere modification y fur apportde par la suppression des hommes dcouteurs, dont l'ouie peut 6tre plus ou moins sensible, les mouvements plus ou moins vifs, facteurs impor- rants lorsqu'il s'agit de fractions de secondes. Des microphones rdcepteurs et transmetteurs automatiques remplacrent l'oreille humaine. A cbtd du systme 5ordmann modifid, on employa les dispositifs Dufour, Bull, et Cotton-Weiss comportant des variantes d'acoustique ou d'adjonction photographique. Donc quatre systmes  peu pros dgaux dans leurs effets dtaient exploits. Ils permirent de rdduire au silence nombre de bouches  feu invisibles. Cependant, on acquit bient6t la certitude que, parfois, des ddtonations accusdes par le microphone ne se rapportaient, ne pouvaient se rapporter h rien. Quelque effort que l'on fit pour le contre-battre, le fir ennemi continuait rdgulier comme en pleine quietude. Et pourtant, par la m6me mdthode, on tou- chair le but en d'autres points. A quelle cause faire remonter ee mdlange de vraies ou fausses indications ? La science s'atta- eha t l'analyse de ee phdnomne ddeoneertant, dont elle fournit asssez promptement l'explieation. Elle ddmontra que, dans le eas d'un fir  projection rapide, supdrieure t trois cent qua- rante mbtres par seconde (vitesse du son), toujours l'obus court 188 1AEVUE DES DEUX MONDE. live, mettait un billon sur la bouche des plus hardis. Au premier moment, il ne voulut pas prendre son parti de ce silence; il partit pour la Belgique, terre de libertd, oh il fonda le Bulletin Franais. Le Bulletin Franais, dont les exemplaires sont fort rares (je d0ute qu'il-en existe un m6me  la Bibliothque Nattonale), dtait une publication d'un caractbre un peu pamphl(!taire, je dois l'avouer. La collection se compose de huit numdros, dont les sept premiers parurent i Bruxelles et le dernier i Londres. Elle dtait rddigde exclusivement ou i peu pros par mon pre et par un de ses amis politiques, M. Alexandre Thomas, auteur d'un ouvrage historique estimd : Ue Province sous Louis XIV. Elle dtait destinde i 6tre introduite en France clandestinement et combattait avec une extr6me vivacitd, au nom de la doctrine constitutionnelle.et libdrale, le rdgime nouvellement dtabli. Chaque numdro prenait vigoureusement i partie celui qui n'dtait encore que le Prince-Prdsident. Mais elle s'inspirait des sentiments les plus patriotiques el, bien que paratssant "k l'dtranger, ne mettait son espoir que dans un rdveil de l'opinion fran(aise. Comparant le premier des apoldon au second et le 18 Brumaire au 2 Ddcembre, la prdface disait : ,: Vous vous 6tes passd de Marengo pour nous enlever nos libertds. N0us saurons bien les ravoir sans les payer du sang et des larmes que cott Waterloo. ,, Pour rddiger cette publication, mon pre et M. Thomas s'dlaient d'abord dissimulds h Bruxelles sous de faux noms: MM. Remy et Thoen. Mais le difficile dtait de la faire pdndtrer en France.: Je crois me rappeler que des mdcaniciens de la Compagnie du 5ord, demeurds rdpublicains, acceptaient d'en mettre dans les grands sacs en toile grise qui servent en gdndral h emmagasiner le charbon et qu'on charge sur les locomotives. Parfois aussi on en cachait un certain hombre d'exemplaires dans la malle d'anis dot mon pbre recevait la visite. Ma mre, qui dtait demeurde i Paris, dtait venue passer quelques jours avec lui, m'amenant avec elle. A son retour, naturellement, on en mit dans sa malle un certain nombre, assez maladroite- ment dissimulds. A la frontiire, les d0uaniers s'en aper(urent, car ils visitaient les malles k fond,  cause de la contrebande dentelliire. La femme de chambre de ma mre, qui s'occupait de la visite des bagages k la douane, avail intr(!pidement ddclard souv.xms. -50"/ daient COhere leur pre," k propos d'une question de propridtd qui les divisait. J'eus  cetie occasion entre les mains-le dossier de la sdparation de corps entre M m" Dudevant et son mart. C'dtait au profit de M '" Dudevant que la sdparation avait dtd prononcde et l'enqugte, qu'avait ordonnde avant juge- ment le tribunal de la Chhtre, dtablissait que les meurs de .M. Dudevant dtaient assez vilaines. L'affaire venait en appel. Hdbert aurait voulu que l'affaire me ffit confide. Maurice Sand et M '' Clesinger ne voulurent pas entendre parler d'un si jeune avocat et ils confiirent l'affaire  Allou qui la perdit. S'ils avaient consenti  m'en charger, nul doute qu'ils n'eussent did convaincus que c'dtait la faute de leur trop jeune avocat, et voil comme il arrive souvent, quand on est jeune, qu'on se trompe dans ses ddsirs. Je m'dtais naturellement fair inscrire au nombre de ceux qu'on appelle les avocats d'office, c'est-h-dire des jeunes avocats qui accepient d'6tre ddsignds par le bureau d'assistance judi- ciaire, par le bMonnier ou par les prdsidents d'assises pour ddfendre des clients qui n'ont point d'avocat. C'est ainsi que j'ai plaidd plusieurs fois des affaires criminelles aux assises. Je me souviens encore d'uh pauvre diable, enfant naturel, triste fleur du fumier de Paris, qui faisaiL pattie d'une bande accusde h juste titre de nombreux mdfaiLs. A l'instruction, il avait nid; je le ddterminai t avouer, espdrant, h raison de cet aveu, obtenir pour lui des circonstances attdnuantes. Mats il se refusa, par point d'honneur, i ddnoncer ses complices qui continuaient i nier, contre route dvidence, de sorte que son ddfenseur se trouvait placd sur un tris mauvais terrain. I1 fur condamnd t huit ans de Lravaux forcds, ce qui impliquait son mainticn h la Nouvelle- Calddonie t l'expiration de sa peine. Le lendemain de sa condam- nation, j'allai le voir t la Conciergerie oh il dtait ddtenu. En le quittant, je lui serrai la main. ,, AhI monsieur, me dit-il, vous me serrez la main comme si j'dtais un honn6te homme, ,, et il dtait demeurd si reconnaissant de ce geste qu'il n'y a pas encore trbs longlemps, j'ai re(:u une lettre de lui. Comme affaire civilc, je n'en ai plaidd qu'une importante et intdressante. C'dtait pour la duchesse de X..., contre-son mari ddputd d'un ddpartement de l'Est, lls vivaient sdpards, mats dtaient marids sous le rdgtme dotal et le mart engageait dans des affaires imprudentes les revcnus de la dot de la 0S BEVUE DES DEUX MONDE$. femme.: En droit, la question dtait trs dlicate. Je plaidai, non Sansquelque succs, devant la Cour, et des avocats presents k ma plaidoirie me firent compliment; mais ce procs eut une singulire issue : il rapprocha le mari et la femme qui, sans recommencer la Vie commune, se rdconcilibrent, et l'affaire, que j'aurais peut-ttre gagnde, fur retirde du rble. Cependant la vie politique reprenait peu h peu dans le pays qui s0rtait de son indiffdrence.-Une assez vive reprise d'opp0sition signala les dlections du printemps de 1863. A ces dlections je ne pris nulle part, pour cette bonne raison que je n'dtais pas encore dlecteur, n'ayant atteint que le 21 septembre de cette annde l'ge de vingt et un ans. I1 n'en fur pas de mtme aux dlections de 1869.-Je fis partie du comitd qui soutenait la candidature de M. Thiers h Paris. Cette candidature ,dtait fort combattue, et maladroitement, par le Gouvernement. La situa- tion dlectorale de M. Thiers dlait assez singulire. Tr6s coura- geusement il avait, au Corps ldgislatit, ddfendu la cause du pouvoir temporel du Pape, car il dtait un adversaire passionnd de l'unitd italienne. Cette attitude lui avait valu une certaine popula- ritd dans les salons du faubourg Saint-Germain. Je me souviens d'une soirde oh il fur reu chez le duc Pozzo di Borgo, dans le grand salon de l'hbtel occupd encore h l'heure actuelle par ses descen- dants. II dtait trs entourd. ,, Comptez combien il y a de ducs entre les jambes de M. Thiers, ,, dit assez drblement mon ami, le jeune duc de Fezensac. Les griefs ldgitimistes contre le ministre de la Monarchie de Juillet qui avait soudoyd Deutz pour qu'il trahit la Duchesse de Berry dtaient oublids. Mais cette nouvelle attitude, fort louable, ne lui en dtait pas moins reprochde dans les milieux ddmocratiques. Aux dlections de 1863, il n'avait pas eu de concurrent. Aux dlections de 1869, il en cut deux : le chocolatier Devinck et l'ancien pair de France d'Alton Shde, devenu radical. La lutte fur assez dure ; il ne passa qu'au second tour (1). Comme il ne frdquentait pas les rdunions, nous nous entendimes, un certain hombre de jeunes gens, pour aller l'y ddfendre et comme, pour pdndtrer dans une rdunion publique, il fallait ttre ou dlecteur dans la circons- cription ou candidat, nous pr6tames le serment exigd des candidats, formalitd qui consistait  ddposer  la Prdfecture de (t) le possde une lettre de M. Thiers off il m'envoie un volume de se dicours et me remercie de mort d6vouement a sa cndidature, souvEns. 509 la Seine une ddclaration (( d'obdissance h la Constitution et de fiddlitd k l'Empereur. ,, C'est ce que nous fimes. On peut critiquer le procddd, mats quand on est jeune et de l'opposition, on n'y regarde pas de si prs. M. Thiers fur renommd bril- lamment au second tour, ainsi que Jules Favre, Ernest Picard, Jules Simon et d'autres encore. La province nomma dgalement un certain nombre de ddputds sinon tout  fair hostiles, du moins inddpendants, entre autres MM. Chesnelong et Buffet dont j'aurai  reparler, et ainsi se constitua dans le nouveau Corps ldgislatif une sorte de tiers parti avec lequel il fallut compter et qui donnait aux ddbats du Corps ldgislatif une physionomie route nouvelle. Pour faire face  cette opposition et parler au nora du Gou- vernement, sur quels hommes l'Empire pouvait-il compter? Billault dtait mort. Baroche (1) I)ont le nom n'est plus qu'un vomitif avait dit injurieusement Victor Hugo dans les Chdtiments, n'dtait pas h hauteur et ne tarda pas i succomber. Un homme surgit et se tit peu i peu connaitre. Get homme fat Rouher. HAUSSONVILLE. (A suivre.) (t) Je me reprocherais de ne pas dire que le ills de Baroche se fit tuer bril- lamlnent au commencement de la guerre de ta'0, a la tte d'un bataillon de mot)ties, 26 1AEVUE DES DEUX MONDE$. phOisa qu'il a[teindrait la plus (!minente spirilualit6, et lui remit un exemplaire de son Livre des secrets, cet exemplaire mime dont te balayeur m'a dit, l'autre matin, que de route la bibliolhque de Djelal-eddin, il avait (it(! le seul ouvrage (!pargn(i par Chems-eddin. Ce[fe merveilleuse recontre du glorieux vieillard et du jeune g(!nie eut lieu t Nichapour vers 1210, quand Bha-eddin Weled, ayant encouru la jalousie du sultan, dut s'dloigner de Balkh. Les fugitifs allbrent h Bagdad, t la Mecque, h Damas. Toute sa vie, le po/te garda le plus vif souvenir des misbres de eel exode, et bien plus tard, un jour de tristesse,  Konia, dans une grande sdance de concer[, au son de la riffte, il chan[a : (( Il y a longtemps que le cceor du mystique est plong( dans la douleur. La colbre des cceurs ruine los mondes; voilk pourquoi le malheureux Khorat'an est en ruines, au point que la restauration n'en est pas possible. )) Ses disciples le pri/rent de s'expliquer, et c'est alors qu'il leur raconta les tribulations de l'exil. En cours de route, quand Djelal eut atteint l'fige de pubert6, on lui fi[ (!pouser une jeune fille de Samarcande, une lille sans pareille pour sa grfice et sa perfection. On l'appelait Gauler- Khh[oun. Djelal avait alors dix-huit ans. Sultan Veled fu[ leur premier-hal. Par la suite, quand le pore et le ills al]aient ensemble t une r(!union, ils ne manquaient jamais, de s'asseoir l'un - cSt6"de I'aui-e, et [ous. les assistants croyaient qu'ils d[aient fr/res. Quatre anndes aprbs ce mariage, Bdha-eddin avec tous les siens se fixa enfin h Konia, aupr/s du prince des Seldjoucides, et commen(a de professer, comme il avait fair t Balkh. Plus limide que ne devait l'6lre celui de son ills, son enseignement semble avoir 6(! plein de lumibre, d'imagination et d'amour. Un vendredi, comme il disait qu'aux jours de la R6surrec[ion, le Trbs-||aut rdcompensera les bonnes oeuvres et les" bonnes mcers au moyen des houris, un ieillard se leva dans un coin de la mosqu(ie el s'dcria : (( Aujourd'hui, dens ce monde, occupons-nous des traditions qui peuvent ins[ruire les croyan[s. C'est plus tard qu'il suffira de contempler le visage des houris. , II rdpondi[ : ,( Mort chef, si je parle des houris, c'est  cause de l'imperfec[ion de l'i[olligence du commun des hommes. Le principe, c'est de voir l'Ami, mats cette rue a route sorte UN FILS AU FRONT.  Je regrette, dit-il schement. Si vous 6tes venue me demander d'entreprendre de nouvelles ddmarches, c'est inutile., Je suis incapable de faire, mOme pour sauver mon ills, le genre de choses que M me de Dolmetsch ferait pour sauver son amant. Mrs Brant le regarda fixement. -- Le sauver .9... I1 a (it(! tud le lendemain de son arrivde au front I -- Grands dieuxl Isador .9 Ladislas Isador tud au front l Ges roots n'avaient pour Gampton aucun sens. II ne parvenait pas h les rapporter  cet homme  femmes, ddjk mfr, aux yeux sdmites, k l'dloquence slave, doud d'une facultd route levantine de se pousser, de se faufiler, de se tirer d'affaire. Quel monde insensd que celui oi le mgme sort, horrible et magnifique, attendait le ltche et le hdrosl -- Pauvre M me de Dolmetsch ! murmura-t-il en se rappelant avec un remords subit l'appel ddsespdr(i de cette femme et la fa(;on brusque dont il l'avait repoussde. Une fois de plus, l'amour avait dclaird la malheureuse crdature; elle avait prdvu ce que jamais personne n'aurait cru, que son amant mourrait en hdros. --Isador avait pros de quarante ans et il souffrait d'une maladie de cceur; elle n'avait rien ndgligd, absolument iien pour le sauver... Campton lut dans les yeux de Mrs Brant ce qu'elle allait dire., -- I1 est impossible que George ne soit pas pris maintenant. La mme pensde avait dtreint le cceur du pre; mais il avait espdrd qu'elle ne l'exprimerait pas. --Son tour peut venir d'un jour k l'autre, insista-t-elle. lls restrent assis k se regarder sans parler. Puis elle reprit d'une voix suppliante : --II n'y a plus un instant k perdre l Campton se mit h essuyer machinalement avec un chiffon un couteau  palette qu'il avait ramassd.. La voix angoissde de Mrs Brant reprit de nouveau : -- II parait qu'on se livre h une vdritable chasse aux embus- quds. Si nous n'agissons pas tout de suite, et dnergiquement... II plongea ses regards dans les siens : -- Pourquoi est-ce . moi que vous vous adressez Elle le considdra avec dtonnement. ro xvn. -- t923. 35 UN FIL$ AU FIONT. autre chose, malgrd les phrases dont ille d6guisait. Oue son ills vdcfit, --vdcfiL k tout prix,- tel avait did son seul souci, son seul but. I1 avait trouvd commode de le justiiier en soute- nant que George n'dtait pas obligd de combattre pour la France ; mats il se rendait compte maintcnant qu'il aurait fair les mOmes efforts pour protdger son ills si le pays en cause avait did le sien. II entendit Mrs Brant qui pleurait doucement. --Julia, dit-il, Julia, je vous en prie, essayez de com- prendre... Elle arr6ta brusquement ses larmes. -- Comprendre quoi? Je ne comprends qu'une chose, c'est que vous, vous restez assis lh en sfiretd, et que vous ne pouvez rien faire pour sauver George. Qu'est-ce que vous croyez que ces jeunes gens dans les tranchdes pensent de leurs pores qui ont trop de scrupules et de grandeur d'me pour les protdger? I1 la regarda avec pitid. --Out, murmura-t-il, c'est l le plus dur. Sans cela, il n'y aurait pas grand'chose dans la pire des guerres pour nous emp6cher, nous les vieux, de dormir la nuit. Mrs Brant s'dtait levde et enfilait fidvreusement son man- teau : il vit qu'elle ne l'entendait plus. I1 la regarda arranger son voile et rajuster de la main sa coiffure, cherchant instincti- vement des yeux un miroir, lls n'avaient plus rien  se dire. Il prit la lampe et la prdcdda sur le palter. -- Ce n'est pas la peine que vous descendiez, fit-elle avec un sanglot. Lui, penchd sur la rampe, rdpondit : -- Jc vats vous dclairer : la concierge a oublid de mettre la lampe dans l'escalicr. Au moment oh ils atteignaient le rez-de-chaussde, il entendit un va-et-vient de pas et des voix effraydes dans la loge. A l'cntrde, le superbe chauffeur de Mrs Brant considdrait d'un air compatissant un groupe de femmes qui entourait M m Lebel. La vieille dtait assise, ses bras dtendus en travers de la table; son ouvrage dtait tombd  ses pieds. Sur la table, il y avail une leLtre ouverte. La femme de l'dpicier du coin, debout i c6t6 d'elle, sanglotait. Mrs Brant s'arr6ta. Campton dcarta la voisine qui sc t,nait pros de la porte et entra.. Les yeux de M m Lebel rencontrrent les siens : ils exprimaient un muet reproche, comme ceux d'un animal qui souffre. BEVUE DES DEUX MODES. --Bien des gens pensent que vous n'Gtes pas inuiilc, Mr Campion, dit Boylston. Campion secoua la tGte. --Je voudrais bien trouver un soulagement dans ce que je fats. Mats servir est inutile,sans la conviction : voil une des vritds que ce bouleversement m'a rdvdldes. J'dtais fair pour peindre des tableaux dans un monde en paix, et je m'estimerais davantage si j'dtais capable de coniinuer  peindre avec insou- ciance, au lieu de ddsirer sans cesse me trouver 1 oh je ne rendrais aucun service. Voilh pourquoi je respecte l'opinion de George, qui consiste, somme route,  n'en point avoir \et  faire simplement, sans commentaires, la t.che qu'on lui assigne. -- Chacun peut du moins collaborer par son altitude, ainsi que vous l'avez fair, mon ami, rdpondit Dastrey. Boylston est li pour en tdmoigner. Boylsion poussa un grognement d'approbation. --Une attitude.., une attitude ! Le mot me fair horreur. Tout ce qu'un homme comme mot peut faire est trop facile pour valoir la peine d'Gtre fair. Quant tt ce qu'on peut dire... Des hommes de notre ge, voyez-vous, Dastrey, sont comme le chceur d'une tragddie grecque : c'est plus fort que nous. Ds que j'ouvre la bouche, je me vois en robe blanche, avec une longue barbe attachde par un dlastique, excitant les combat- rants d'une voix cassde du haut des remparts. Tout compte fair, j'aimerais mieux filer la quenouille avec les femmes. -- Eh bienl dit Dastrey en se levant, il faut que je rctourne filer ma quenouille au ministre. Ils sortirent tousles trois dans la nuit froide. Tout le cours de l'hiver, la vie avait paru suspendue, aussi bien sur le front qu'i l'arrire. Chaque jour, chaque semaine, de la pluie, du grdsil, de la boue; chaque jour, chaque semaine, des nouvelles vagues et qui ne disaient rien. Partout l'ennemi arrGtd, mats mena(ant ; partout la mort, la souffrance, les ruines, sans que parussent osciller les plateaux de la balance, sans qu'aucun espoir r(!confortant se ddgagett de l'interminable et lente ddsolation. Le Paris engourdi-et sombre de ces journdes de fdvrier semblait le symbole visible d'un monde engourdi .et sombre comme lui. Sur l'asphalte glacd d'une pluie fine, les quelques r(!verbres UN FILS U FRONT. ' est d'aider notre cher grand ami dans sa croisade contre les assassins de mon Ladislas. Mrs Talkett dit-un mot "-Mr Mayhew, dont la figure satis-i faite se ddcomposa subitement. -- Benny, Benny l... cria-t-il. Benny blessd? Mon Benny? Mats non ! C'est une erreur I Qu'est-ce qui vous fair croire ? -- Son regard rencontra celui de Campton. -- Oh! mon Dieul Mats c'est le ills de ma sceur I I1 cacha son visage dans ses mains. Dans la voiture oh Campton le fit monter, il continua de sangloter i grands sanglots comme un 6tre perdu, sans soutien, dans une immense ddtresse, battant ses poches i la recherche d'un mouchoir introuvable, que ses lartnes transformbrent en bouillie quand il l'eut enfin trouvd. Campton comptait le quitter h la banque, mats Mr Mayhew dtait trop abattu pour que le peintre l'abandonntt. On fit passer leurs noms h Mr Brant. Et bientSt, admirant les bizarres fantaisies du destin, Campton se trouva pour la premiere fois dans le cabinet du banquier. Mr Brant n'dtait pas dans son bureau. Pendant qu'ils atten- daient son retour, l'ceil du peintre enregistra tous les ddtails de la piece, depuis la cite perdue de Barye sur la cheminde en marbre rose jusqu'aux fauteuils de maroquin bleu disposals autour d'une gigantesque table  dcrire. Sur la table dtaient posds juste ce qu'il fallait de papiers, soigneusement plids sous un presse-papier en cristal de roche. La piece dtait nette comme un ddcor de thdatre luxueux ou comme la cage d'un serin bien tenu" seul un tdldgramme, ouvert sur le bureau, ddparait ce bel ordre. Mr Brant entra, gris et lisse, sans que ses pieds finement chaussds fissent aucun bruit. II serra la main de Mr Mayhew, salua Campton, toussa selon son habitude, et dit" -- C'est affreux.., c'est affreux I Et comme ils dtaient assis li tous trois, impressionnants, tmportants, impuissants, devant le tdldgramm fatal qui ddparait l'ordre de la table, Campton murmura en lui-mgme- ,( Si cela m'arrivait  mot, je ne pourrais pus le supporter... Non, vraiment, je ne pourrais pas le supporter... ,, Benny Upsher n'dtait pas mort; du moins, on n'avait pus de 60 EVUW ES EUX OWS. sang-froid  la vue de l'agitation de son amie.  Qu'est-ce qui vous a fair penser  George? -[ -- Votre figure l balbutia-i-elle en se rasseyant. C'est absurde... Mats vous paraissiez... --5Ia figure? Ce n'est pas dtonnant. Benny Upsher a disparu, il m'a fallu l'annoncer  Mayhew. -- Ce pauvre petit Upsher ? Quel malheur I -- Le visage de liiss Anthony se rassdrdna.- Cela me fair de la peine, beau- coup de peine... Vous d6jeunerez avec mot. Jeanne vous pr(!- parera une cStelette. I1 secoua la t6te. N Eh bienl alors j'ai tint. Elle le prgc(!da au salon. En entrant, elle se trouva en face de la fen6tre, et il s'aper(ut que les traits de miss Anthony 6taient aussi bouleversgs que devaient l'6tre tout  l'heure les siens. --Pauvre Benny, pauvre gar(on! rdpdiaii-elle du ton de voix ravi qu'elle aurait pris pour fgliciter Campion que le jeune homme air 6chappg au danger. I1 vii bien qu'elle ne pensait pas t Upsher, mats  George- l'incapacit(! d'adapter son intonation  ses paroles trahissait la violence du soulage- ment qu'elle (!prouvait. Campion raconta la sc/ne  laquelle il venait d'assister, puts demanda soudain : -- Pourquoi diable avez-vous craint pour George ? Miss Anthony s'6tait assise dans son fauteuil habituel, le dos tourn6 au jour, de sorte qu'elle put dire avec assurance : -- 5Ion cher ami, si vous m'ouvriez le corps, le nom de George s'gcoulerait de chaque veinel --Mats de quel ton vous l'avez dit! Vous pensiez qu'il avait (it(!... que quelque chose 6tait arriv6? insista Campion. Comment serait-ce possible, l off il est ? Elle haussa les 6paules. -- Comment? Mats on court des risques partout. II tira de sa poche la lettre re(ue le matin. Une lumibre subite venait de l'dclairer, et sa main tremblait. --Je ne sais m6me plus oh George se trouve, dit-il. Tenez, lisez (:a. Nous devons (!crire  son d(!pbt. Je dots en avertir sa mbre. Qu'est-ce que cela peut signifier, sinon qu'il a quitt(i Sainte-Menehould et qu'il veut nous cacher off il est? ,G6 IEVUE DES DEUX MODE$. contemp|g le Paris d'autrefois dans sa robe ldgre c'LaiL, il s'en souvenait, au moment off il faisaitle plan de son voyage en Afrique avec George. Un passage de Faust, que George lui avait un jour citd, traversa son esprit. (( Prenez garde! Vous avez brisd mon bel universI II y aura des dclats... Oui, des (iclaLs, des (iclats partout !.. Toutes les mains en taient rouges de sang l Quel chtiment imaging par l'homme serait jamais dgal au crime d'avoir ddtruit son bel univers? On soana ; il ressai|lit comme si les e:vdnements les plus smples iaient devenus singuliers. (te Dastrey ou Boylston, ou mme Adble Anlhony, v]nssent le voir, rien de plus nature. Pourtant, son cceur battait avec autant de force que si 'avait pu [re George. Il alia ouvrir : c'(!tait Mrs Talkett. -- Puis-je entrer? dit-elle, et elle entra sans attendre la r(!ponse. II fur dtonn(i du changement de son aspect. Sauf le jour oh il l'avait aper(ue au ddbut de la guerre, chez Mrs Brant, il ne l'avait jamais rue que sous la coiffe d'infirmire ; et l'on efit dit, rant son travail l'absorbait, qu'en soignant les blessds elle suivait une vocation longtemps contraride. Maintenant, vtue d'une robe d(!licatement printani/re, elle semblait une manation de la saison nouvelle. En mme temps que son uniforme, elle avait rejetd tout souci, et souriait b. Campton d'un air d'intelligence. En temps ordinaire, il aurait pensd : (( Elle est amoureuse... Mais cette explication paraissait d'une autre (!poque ; elle lui rappela nanmoins comme il (!fair-mal renseignd sur Mrs Tal- kett qui, aprs la mort de Rend Davril, avait disparu de son existence aussi brusquement qu'elle y dtait entrde. Des allusions au ( mdnage Talkett, , saisies de temps b. autre chez Addle Anthony, lui avaient fair imaginer t l'arri/re-plan un Mr Tal- kett invisible, mais de Mrs TalkeLt elle-mdme, il ne savaiL rien que ce qu'elle lui avait dit de ses aspirations eL ce qu'il avait lu dans ses grands yeux rides, devin6 dans los iuflexions adoucies de sa voix quand elle parlait des soldats bless(is, dans les phrases prdcises et nettes doni elle revdtait ses vagues et floitantes pensdes. Tout cela composait une image assez voisine de cello (lue leu- premiere rencontre avait 6veillde : une gravure arrachde d'un journal de modes. Aussi la regarda- t-il avec indiffdrenc'c, se demandant la cause de sa visiLe. UN FILS AU FIONT. 6" D'un geste rapde, e||e retira l'pingle de son chapeau, jeta celui-ci sur le divan et di :  Chef maitre, me permetez-vous de causer un peu avec vous ? E[le se laissa tombcr auprs de son chapeau, noua les. mains autour de son genou frle, et commenqa soudain : --Vous,savez, j'ai rdsolu de recommencer ma vie,--, de vivre ma vie  mot, d'etre vdritablement mot. Aprs ces ]ongues et affreuses semaines oh j'ai dr(! comme exilde de moi-mme, je vois maintenant que ld est mon vrai devoir, -- comme c'est le vbtre, comme c'est celui de tout artiste et de tout crdateur. N'tes vous pas de mon avis ? 1l [aut que nous conservions au monde la Beautd; avant qu'il soit trop tard, il faut que nous la sauvions de la destruction. Cela parait bien osd de ma part, je le sais, de dire (( nous ) en parlant d'un gdnie tel que vous et d'un pauvre grain de poussire tel que mot. Mats, aprs tout, un mme instinct nous anime, un mme impdrieux besoin, un mme ddsir de r(ialiser la Beaut(i, quoique vous le fassiez d'une fa(:on si magnifiquc., st... objective, et que mot...- Elle s'arrta, d(inoua ses mains jointes et leva sur lui les yeux. -- Mats je ne veux pas avoir l'air de rougir de rues faibles moyens. Il me semble que chacun devrait aider  sauver la Beaut(i, mme le plus humble et le plus ignorant d'entre nous. -- Elle poussa un profond soupir et ajouta : -- Cela m'a d(ij fair du bien de rester assise  vous (icouter. Quelque temps auparavant, elle efit amus(i Campton, ou peut-tre l'aurait-elle agac(i. Mats depuis lors, il avait (iprouvd,. lui aussi, le besoin de (( vivre )dont elle parlait, le mme qu'i| avait entendu exprimer par cette mre en deui| qui avait repris si vivement Mrs Brant. Le printemps agissait sur eux tous, selon la diversit(i de leurs natures. --Mats que suis-je en tout ceci? reprit Mrs Talkeit, lui (ipargnant ainsi la peine de rdpondre. Rien que l'tincelle qui fair naitre la flammel C'est vous, cher mat[re, qui devez donner  chacun de nous l'exemp[e du retbur au travail. Qu'avez-vous fair au cours de ces horribles semaines? Qu'a fair votre moi v(iritab|e? Rienl Et le monde en est pour toujours appauvri. Maitre, il faut vous remettre  peindre, il faut commencer aujourd'hui mme! '76 BEVUE DES DEUX MONDE. -- Brant a cru bien faire, reprit-il. Du reste, iln'y a aucun motifde s'effrayer. Je' ne sais pourquoi vous avez eu peur. Elle baissa la t6te. -- Quelquefois, quand j'entends les autres femmes,  les autres mres, N ilme semble que notre tour doit venir: I1 ne rdpondit pas; elle resta en face de lui, silencieuse, sans paraitre songer h partir. Enfin, il dit : -- J'dtais sur le point de sortir... Elle se leva. -- AhI oui, j'avais oublid.., j'dtais venue vous denander de m'accompagner. -- De vous accompagner? N L'auto attend, il faut que vous veniez. -- Elle posa la main sur son bras. N Je veux vous emmener voir Olida, la voyante. Tout le monde y va. Elle a dit aux gens des choses extraordinaires. I1 se ddgagea doucement.  Ma pauvre Julia, n'hdsitez pas  y aller,.si cela peut vous rassuFeg. -- Mais il faut que vous veniez aussi. Vous ne pouvez pas dire non : Madge Talkett m'a confid que si les deux plus proches y vont ensemble, Olida voit bien plus nettement... Surtout un pre et une m/re, se hata-t-elle d'ajouter, comme si elle avait remarqud l'inopportunitd du mot ( proche.  M6me M " de Tranlay y a fit(i; Daisy de Dolmetsch l'a rencontrde dans l'escalier. Olida lui a dit que son plus jeune ills, dont elle n'avait pas de nouvelles depuis des semaines, se portait bien et allait arriver en permission. M . de Tranlay ne connaissait Daisy que de vue, elle l'a tout de m6me arr6tde pour lui raconter. Croyez- vous, la dernire personne k qui elle aurait parld en temps ordinaireI Mais elle dtait si dmue, si heureusel Et deux jours aprs, le jeune homme apparaissait sain et sauf. I1 faut que vous veniez, insista-t-elle. Campton fur pris d'une compassion profonde pour routes ces femmes qui cherchaient un rayon de lumire dans l'obscu- ritd. La pensde de l'altire M , de Tranlay.montant l'escalier de la voyante le toucha. -- J'irai, si vous y tenez, dit-il. lls traversirent le quarrier des Batignolles. Campton se souvint tout  coup de la jeune Espagnole, dans la petite maison' BEVUE DES DEUX MONDES. oh la 16gbre ombre bleue d'autrefois 6fair devenue une (!paisse ligne notre. II voyait encore la mani/re dont le rite soulevait cette l/vre sur les petites dents rondes, pendant que la t6tej rejet(!e en arriire, d!couvrait l'Agnus Dei pendu au cou. Maintenant, la bouche !tait pareille t une fleur fande, et dans les pits du cou s'incrustait un collier de perles. -:- Prenez-vous les mains, commanda-t-elle. Julia donna sa main d(!gantde t Campton. -- Vous voulez des nouvelles de votre ills.., comme rant d'autres ! M me Olida referma les yeux. Les bruits de la rue arrivaient affaiblis par les fen6tres closes; une odeur d'ail et de parfum h bon march(! oppressait la respira- tion de Campton et r6veillait en lui d'anciens souvenirs. Faisant un dernier effort de m(!moire, il fixa le masque inexpressif de la voyante et frappa des doigts deux ou trois coups sur la paume de sa main. Elle ne broncha pas et ne tourna pas les yeux vers lui. . -- Je vols.., je vois..., commenqa-t-ellc. Un voile ipais de fum!e me sdpare d'un visage jeune et beau, avec un nez court eL des cheveux d'un blond roux: des cheveux (!pats, (pais, comme ceux de monsieur quand il 6tait jeune... La main de Mrs Brant trembla dans celle d Campton. --La fum(!e s'(!paissit, j'entends des bruits 6pouvan- tables; il y a un visage couvert de sang,  mats ce n'es pas celui du jeune homme roux. Celui-ci est encore plus jeune, c'est presquc un enfant.., il a des yeux bleus comme la fleur du lin, mats du sang, du sang... Ah! il est sur un lit d'hbpital, -- pas le visage de votre ills, l'autre; il y a auprbs de lui des soldais allemands, riant et buvant; ses lvres s'agitent, ses mains 6[endues sont crispdes par la souffrance; mats personne n'y fair attention. L'uniforme cst diffdrent,  est-ce un uniforme anglais?... Maintenant le visage devient bl6me; les yeux se ferment, il y a de l'(!cume a.ux 1/vres..., il a disparu. Sur l'oreiller, je vois le visage d'un autre ho'mme... Maintenant, le visage de votre ills reparait. La fumde s'est dissipde..., je vois un bureau et des papiers; votre ills 6crit... -- Oh! haleta Mrs Brant. --Si vous serrez ma main, vous arr6tez le courant, dit M * Olida. LE CONCOnDAT DE i80|. de nouveau les motifs de conscience, les raisons d'ordre [ho- logiclue clui empchaient le Sain[-Pre d'aeceptr sans rserve le projet fran:ais.  Comment voulez-vous, rpondit [ris[emen Cacault, ClUe je puisse convainere, surtout sur.des matires si peu comprises dans la socit sculire et dent le sens chappera sfiremen . Bonaparte?  Mais bient6t, mesurant ce Clui restait de chances, il exposa  Consalvi le plan qu'il venait de dve- lopper.  Allez, lui dit-il, Bonaparte les scrupules du Saint-Pbre. Portez-vous garant de ses sentiments.  Mais je ne suis pas persona grata, ,, obec Consalvi,  la fois mu et surpris. E il rappel Clue jadis, aprs le meurtre de Duphot, il avait t suspect, emprisonn, exile. ,, Peu impor[e, repartit Cacault; ca qui touchera Bonaparte, c'est le rang du personnage qui sere envoyd vers lui. Vous 6tes cardinal, vous 6[es secrgtaire d'ltat. Quel ambassadeur pourrait le flatter davantage et mieux aider  une heureuse conclusion Il fallait obtenir l'adhdsion du Pape, Tr/s troubld, mais demi conquis, Consalvi se rendit au Quirinal. Avant d'y entrer, il s'arr6ta chez l'ambassadeur d'Espagne, M. de Verges, et tr/s confidentiellement lui fit connai[re le plan de Cacault. M. de Verges approuva chaleureusement. De cette approbation le cardinal se sentit fortifid; et ce fur avec une confiance raffermie qu'il pdndtra dans les appartements du Saint-P/re. Pie VII n'accueillit pas san. 6tonnement la suggestion qui lui parut tout  fair ex[raordinaire. A Rome, ce pays de la lenteur, on n'dtait accoutumd ni aux coups de thdiitre, ni aux combinaisons improvisdes, ni aux voyages pr6cipiids. Puis, si l'6tranget(! des iemps n'avait effacd l, ancienne quette, combien singulier n'edt pas peru ce ddpart subit d'un cardinal Secrdtaire d'ttat, s'empressant en solliciteur pour apaiser un maitre irl'itdl Quelles que fussent les rdpugnances, l'expddient semblait, e,...n la condition critique des affaires, le seul propre  ramener le premier Consul. Le 2 juin au soir, Sacrd-Collge fur rduni. A l'unanimit(!, il approuva le projet. Cependant Cacault, lid par la rigiditd de ses ordres, dtait tenu de quitter Rome au bout de cinq jours. Une grande crainte r(!gnait, celle que son d(!part, interpr6[d comme une rupture avec la Rdpublique fran('aise, ne ffit pour les patriotes romains un prdtexte de manifestation. Pour dissiper route apparence de LE COICOnDAT DE 1801. Il rdclamaK la publicitd du culte. -. II demandait que la clause relative aux ecclsiastiques marius ou abdicaaires fat supprime ou modifie, m Enfin la formule du sermen veillait aussi la sollicitude du ndgociateur pontifical : les lois de l'dpoque anldrieure, en grande partie maintenues, conte- naient de nombreuses dispositions que la doctrine catholique rdprouvait; pour calmer tous les scrupules, il importait que l'engagement imposd aux eccldsiastiques de tout ordre f6t une promesse non de soumission aux lois, mats simplement de fiddlitd et d'obdissance au Gouvernement. Les concessions dtaient telles que visiblement on se rappro- chair. Dans la journde du 2/juin, Consalvi, ayant achevd son contre-projet, le remit  Bernier. Celui-ci promit de le trans- mettre au ministre des Affaires dtrangbres et, si nous en croyons les documents pontificaux, le trouva, quant k lui, tout h fair acceptable. Puts le cardinal attendit la rdponse, partag6 entre l'espoir d'une heureuse conclusion et la crainte, presque le scrupule, de s'6tre peut-gtre trop dessaisi. A son grand dtonne- ment, les journdes du 28, du 29, du 30 juin s'dcoul?rent sans qu'aucune communication ne lui parvint. En revanche, une grande nouvelle se rdpandit : Talleyrand avait pris congd du premier Consul et venait de partir pour les bains de Bourbon- l'Arch:,nbault. Sur cette information, on crut dans le monde diplomatique que l'affaire du Concordat dtait arrangde. Non, elle ne l'dtait point encore. L'ancien dv6que d'Autun s'dtait m6me appliqud, avant de partir,  combattre, dans une note, les amendements proposals par le cardinal Consalvi. De plus, il laissait a Paris, en la personne de M. d'IIauterive, un agent fort actif et toujours en dveil. Pourtant, cet dloignement dtait un symp.t6me ddcisif : si Talleyrand parfait, ce n'dtait pas que le traitd fdt conclu; c'dtait qu'il se ddcourageait ddsormais de le faire dchouer. VIII Et, en effet, h travers toutes'les discussions mgme les plus subtiles, m6me les plus tenaces, on s'acheminait vers la conclusion, ltait-ce  dire que de part et d'autre on se fat convaincu? La socidt6 sdculi6re entendait garder routes ses maximes, et Rome routes ses traditions. La divergence persis- 6l REVUE DES DEUX ,MQS"DES. pourrais admettre, ce serait que le Pape, dans la Bulle qui accompagnera le traitd, rendit hommage, sous forme d'dloge, h ma foi catholique et, de la sorte, en prit acre. )) -- Centre la publicit6 du culte, le premier Consul ne formulait pas de moindres critiques. Que le culte s'exer(fit librement dans les (iglises, il le conc6dai[ sans peine. Mats route cdr(imonie ext(!.- l'ieure dveillait ses lndfiances, soit qu'il redoutt sincbremcnt que ces manifestations fussent cause de troubles, soit qu'il crai- gnit, par cet exc/s de faveur, de fournir une arme aux adver- saires du traitd. --Enfin Bonaparte s'expliquai[ real les objec- tions centre le serment t la constitution et aux lois. En homme t qui manque le sens des choses religieuses, il ne com- prenait gubre les scrupules que ces objections recdlaient, et ce qui 6lair ddlicatesse de conscience lui apparaissait avec un vague aspect de r(!bellion. Bernier n'avait rdussi qu'incomplb[emen[ t dissiper ces pl'd.ventions. Comment furent exploitdes ces arribre-pcnsc.'es? Boapar[e avait voulu associer  ses dernibres ddcisions les deux autres Consuls. L'un d'eux, Cambacgrbs, 6taitimbu centre l cour de Rome de tous les prdjuggs des ldgistes et, dans cet esprit, craignait avant tout que l'autorit(! s(iculi/re ne se ddsar- mht. Aussi on ne peut mettre en doute le tdmoignage de Con- salvi qui, t deux reprises, ddnonce en termes trbs formels son hosti]i[6. Cette influence fut-elle la seule ? Talleyrand s'Oait dloignd, .mats ses rapports restaient. Le jour m6me de son part, il avait, en un dernier billet, ddnonc6 l'csprit d'dtroitesse et de malveillance qui an[matt les agents du Saint-Sibge; il avait jug(i que les amendements du cardinal Consalvi ( fai- aieut r6trograder la ndgociation jusqu'h l'dpoque des premibrcs difficultds ; ) il avait conseill(! que de nouveau los volontds du Gouvernement fussent traduites sous la forme comminatoire d'un ultimatum. Et cette note avait 6td p6scn[ge par d'Haute- l'ive comme le commentaire du dernier projet remis par le ministre avant de partir pour les eaux, projet qui ne tenait aucun compte des tempdraments de r6daction rgclamds par Consalvi et non repoussds par Bernier. C'est ce projet qu'au moment de conclure, le p'cmier Consul, ndgligeant h la lcs objections du cardinal ct les concessions de son pl'opr.c repr6sentant, s'dtait approprid, au moths d'une fa(on g(indrale. Il arrivait done que Talleyrand, d'influcnce contenue rant .q!u'il 62 vc DES DEUX MONDIS. et opposition : les seetes re!igieuses, les partis politiques, nationalitds, les races; une .seu]e chose peut unir les ames. : la foi dans le progrs, que la science .crdera.-Par la science con(ue comme dducatrice, les !ldments hdtdrognes se fon- dront; les dlgments incertains que le riot tumultueux de la civilisation amdricaine entaine en son cours se clarifieront, se puritieront; le peuple s'dlvera vers une moralit(! sup(!rieure, qu'il aura-lui-mme conquise par un effort de volont(!... D'aucuns trouveront peut-tre excessif ce grand appdtit de savoir, qui ressemble  une fringale : .interprdt(i comme le ddsir d'arriver plus vite at bien, par la connaissance du vrai et du beau, il est dmouvant. Voil pourquoi gloves et professeurs, au temps des vacances, travaillent d'ahan. Encore que Columbia s'dlve sur les bords de l'tludson, loin de Wall Street et de son tumulte, et forme comme une cit(i paisible dans l'immense ville agit(ie, on y est real  l'aise les jours de canicule. La chaleur est moire et pesante; l'effort de parler, l'effort d'dcrire, sont pdnibles aux corps fatiguds. On vii dans une atmosphere d'orage qui n'dclate .pas. Si l'orage (!clare enfin, c'est pour une trop courte trove; peine les cataractes du ciel se sont-elles arritdes, qu'une bude monte du sol surchauffd ; bientbt on recommence  respirer du feu; et les ventilateurs dlectriques tournent dans un air brfilant. Peu importe : on peine pour apprendre. L'Universiti offre sa session d'dt(i aux 6tudiants press(is, qui veulent brfiler-les drapes ; aux dtudiants pauvres qui exercent un m(itier.pou," vivre, et qui ne disposent que du temps oh les autres sont de loisir ; aux dtudiants qui vivent loin des centres de culture. De mme, les (!tablissenaents annexes de l'Universitd, colle de jeunes filles, (icole normale d'instituteurs, ei tous autres, ouvrent leurs portes  ceux qui veulent augmenter,, renouveler, rafraichir leur savoir. A leur usage, on transforme les vacances en une autre ann(ie scolaire; on institue des cours haute dose. Les professeurs des dcoles presque innombrables qui s'd/vent sur le sol des ttats-Uni.s viennent l comme vers une divinit(! salutaire, qui les aidera dans leur carri/re, leur ouvrira l'accs i de plus hautes places, et tonifiera leur esprit. La session d'(!td est un remade contre l'engourdissement qui s'empare quelquefois des meiileurs maitres, las de r(!pdter les mmes formules, las de donner sans rien recevoir; un _remd.e 63 rvus Drs Dvx MOSD-s. . l'aumSne d'une noise[te, ni les passants. Le travail les prend tout entiers, corps e me; ils se courbent sur sot pour eux la vrit et la vie. lls 6tudient. Et voici mon dernier souvenir. Le tours s'achbve; cre par six semaines d'incessant labeur va se dissoudre ; c'en est fini des causeries et des confidences; brivement, le profes- seur prononce des paroles d'adieu. Mais quel mouvement se dessine parmi les auditeurs ? La sonnerie qui hit eniendre sa voix grle n'est pas, celte fois, le signal de l'envol. Voici qu'un dtudiant s'est levd; il tient dans ses mains une feuille;il va. prononcer un discours. Or c'est un ancien capitaie de l'armde atndricaine qui parle; il a gagnd son grade sur les champs de bataille de France, et ses camarades l'ont choisi en cette qualitd. Avec une simplicitfi au/rement dmouvanle que tous les artifices, il exprime, au nora de tous, ses sentiments d'estime et d'allction pour la France. Cette scne aussi est un symbole. Tout au long de notre sdjour, on nous l'a manifestde, cette amitid profonde. Les atten- tions qu'on nous a prodigudes, h l'Universitd et au dehors, allaient  notre pays plus encore qu' nous-m6mes. Nous avons lh-bas, ddvouds h notre cause, les curs les plus tidles et les ]-,lus stirs. Nos partisans ne se contentent pas de nous ddfendre contre la persdcution de nos ennemis- ils nous encouragent. Or dans cette vaillante armde, qui continue  combattre aujour- d'hui pour la paix du monde et pour le bien de la France, les meilleurs soldats sont de deux espces. D'une part, nos anciens frres d'armes, qui n'ont rien oublid. De l'autre, tous ceux qui, en dehors des vicissitudes de la politique, ont reconnu la valeur de notre culture pour en avoir personnellement dprouvd le bienfait" les anciens dlves de notre cole des Beaux-Arts, de nos Instituts, de nos acu,tes. C'est une grande joie de voir que la race n'en est pas perdue; qu'elle s'accroit, au contraire et que les dtudiants, force de l'avenir, sont avec nous. PAUL HAZAPD. POUR MIEUX CONNAITRE GOYA Le centenare de la mort de Goya aI)proche; d'dclatants [6moignages devront 6ire rendus en Espagne, et en France don[; il fdt l'hbie,  l'artiste ggnial. Ddj, grace au grand sculpteur Mariano Benlliure, il repose  San Antonio de la Florida, l'humble (!glise qu'illumine un de ses chefs d'oeuvre ; le regrett6 Aureliano de Berruete lui a consacrd rdcemment trois volumes off l'importance des documents et la valeur de la critique dgalent la richesse de l'illustration. Au Prado, pour le centenaire, seront certainement inaugur(!es les salles Goya dignes des nouvelles salles du Grdco, de Velazquez, de Van Dyck, de Rubens, de l'lcole fran(aise. On voudrait qle les pages sui- vantes fissent mieux, connaitre la vie, le caractbre et quelques oeuvres typiques, assez discutdes, du maitre dont les f6es prochaines.consacreront la gloire. Tandis que nous atendons le grand artiste que la guerre fatale nous dolt, e qui nc peut manquer de naitre, notre pensde dvoque invinciblement lc peintre sublime du Tres d Mayo, le tragique aquafortiste des Ddsastres de la guerre. Goya fur le tdmoin de l'invasion napoldonienne en Espagne, ct des luHes forcen(!es pour la libdration de sa patrie; ses 6motions lui ont inspird les pages les plus h(iroiques et les plus terribles peut-6tre que main humaine air jamais tracdes. Ces ches-d'ceuvre douloureux sont plus que centenaires, et ils sont d'hier. Ce tdmoin d'un pr(!sent affreux 6[ait le visionnaire prophitique d'un avenir plus affreux encore. A ddfaut des pob[nes de la I)lme, du ciseau et lu pinceau dot nous rvons au sortir de l'6popde d'hier, revenons h ccux-lh, qui sont d'une actualil6 inattendue el; poignanl:e. Mais pour les eomprendre dans route leur force sanglante, POUiR MIEUX CONNA[TRE GOYA. 63"/ venirs des anciens de Fuendetodos, Goya demeure comme un gamin travieso y inquieto, c'est--dire polisson et turbulent, ce qti n'est pas trbs grave; mats il conc/de aussi qu'en son fige mot il avait beaucoup d'ind(ipendance et m6me de l'irritabilit6 et de la violence; il parle du caractbre excentrique et singulier qu'il montrait comme artiste et comme homme, et reconnait qu'il menait ce qu'on appelait una vida airada, ce qui est difficile  traduire, mats pas tr/s flatteur. Voilt des traits que nous devons relenir, car nous ne pouvons nous tier en tout k la trbs indul- genre sympathie de Zapater. Par exemple, nous avons beaucoup de peine h le suivre lorsqu'il veut nous prouver que Goya fur un excellent (!poux. Don Francisco concbde qu'il eut de nombreuses amours, par suite une fiddlit(! intermittente ; mats ce ne sont h ses yeux que pecca- dilles; Goya mbne la vie airada qui (!fair celle de tous ses con- temporains les plus notables: l'6poque seule et les mceurs de la haute socidtd doivent en porter la faute. L'essentiel est qu'il eut beaucoup d'affection pour dofia Josefa (( qui, malgr(! la vie agitde de Goya, dut savoir manier quelque mystdrieux ressort qui ramenait  ses cStgs son inconstant mart, puisqu'elle en a eu. vingt enfants. ,, L'argument tait atendu; pourtant la duchesse.d'Albe, et ses amies intimes, la Tirana, la Caramba, la lita Luna, la Maja hue ou habill(!e, ne sont pas des mythes; la socidt(! des grandes dames, des belles com(!diennes, des beau- t(is  la mode tait dangereuse, et Goya en aimait le danger. Mats dofia Josefa, par amour ou par. indiffdrence, s'attachait au foyer .trop souvent dgsert, et faisait, au bon moment, jouer le myst(!- .rieux ressort. En revanche, la correspondance de Goya nous .prouve.qu'inconscient ou repentant, il ne cesse de s'inqui!ter de sa fen .e. aux moments m(mes off il la trahit; il se tour- mente,s'il la voit malade; il l'accompagne  Valence, oh elle dolt aller prendre les baths de met; il se prdoccupe de son bien- 6tre..et m6me de sa toileite. II l'aime, en somme, sans aucun doute, autant et aussi bien.qu'il pouvait_aimer. D'autre part, Zapater nous semble .avoir parfaitement raison quand il insiste .sur le caractbre bon et-affectueux de ]'ariiste.; il eut beaucoup d'amis, et de trbs fidbles, au cours de sa longue, existence. S'il se montre.souvent impatient, bourru et..p.eu maniable, c'est essentiellement lorsqu'il est question de son at't, lorsque son amour-propre de peintre est en jeu, ou 638 EVUE DES DEUX MONDE$. qu'il souffre de ces rivalitds ou de ces jalousies de confi'res inhdrentes au succs et au renom, de ces petits complots et de ces cabales dont ses mddiocres concurrents ne manqurent pas de le harceler. Dans la vie courante, il nous apparait affec- tueux, bienveillant, de bonne humeur et boute-en-train. De l ccriainement sa faveur  la cour comme k Ia ville; il fur choyd des rois, des princes et des grands, comme des dais compagnons de plaisir qu'il aimait b. chercher dans les milieux les plus modestes. Surtout il est [ouchant de constater sa tendresse de ills, sa tendresse le pre et de grand pre, son affection de bon parent. On ne connait pas Goya sous ce jour, et cependant plus d'un fair rapporid par Zapater nous rend trs sympathique homme qu'on a voulu nous faire passer pour terrible et [ou- jou.rs hors de la loi commune. Nous n'avons qu'k cuciilir dans ses lettres. Le 23 novembre 1"/81, apprenant la mort de dofia Manuela, sceur de Martin Zapater, il (icri/ h son ami des phrases dmues de condoldance dont on sent la sincdritd, et il ajoute " (( J'attends aussi au premier jour la funeste nouvelle de la mort de mon pre, car on m'(!crit que le m(!decin donne peu d'espoir, et celui-ci me l'a dcrit aussi. J'ai seulement le chagrin de nc pouvoir tre lh-bas et de n'avoir pas cette consolation.  Son pre mort, il donna k sa mre une pension de cinq rdaux par jour, .---il n'(tait pas riche h cette poque,  et en septembre '/83 il la tit venir h Madrid pour y vivre avec lui; mais ellc s'y ddplut, deipaysde, et retourna t Saragosse-l'annde suivantc. Il avait un frre, Camilo, qu'il proldgca tris affectueuse- ment, c[ avec succbs" (( J'a[tends Camilo (13 novembre |'/81), qui va h Tolde pour void- si Dieu veut qu'il devienne curd, et si notes ne jugeons pas d'autre manire ici, oh l'on m'a appris comment il faut s'y prendre pour arriver  quelque chose. )) En '/87, on retrouve ce frre nanti d'une capellania Chinchon, grace  l'infant don Luis. C'est surtou[  propos de ses enfanis qu'eiclate sa tendresse. Le 22 janvier '/'/7, tout jeune marid, il se flicite de la missance d'un beau gar(on, d'un guapo muchacho; le 2 ddcembre .I.78, c'est la venue au monde d'un nifio muy guapo y robusto, or, le 23 mai '1189, il parle ainsi de ce benjamin - (( J'ai un ills de quatre ans, qui est ce qui se peut voir de plus beau  Madrid ; 6/ 1:rEVUE DES DEUX MONDES. ont 6t! compt6es devant lui, et dont j'a! payg le port. I1 t'a fair payer chef les turrones (nougats), car, s ils ne sont pas de Sara- gosse, on peut se figurer qu'ils ne sont pas aussi bons que ceux que l'on vend ici, bien que ceux d'ici soient meilleurs. ,, I Bon bourgeois, Goya avait un peu des d(!fauts du bourgeois, beaucoup d'amour-propre, quelques prdtentions, relies atti, tudes sentant parrots le parvenu. C'est pour cela qu'il est-sa tier de sa belle voiture, qu'il se lance dans la vie codteuse, pour cela aussi qu'il est si vain de ses relations nobles, prin- cires et royales. Quand il est prdsentg au rot Charles III, on ]9, et lui baise la main, il ddclare qu'il n'eut jamais rant de bonheur. Que dire, lorsque Charles IV, h son tour, se montre familier avec le premier pentre de la Chambrel , Le Rot mon Seigneur m'a re(u trs cordia|ement, m'a parld de la petite vdrole de mon Paco (il glair au courant), je lui ai rdpondu, il m'a touchd la main, et s'est mis  jouer du violon.  Quant  la noblesse, il avoue qu'il en tirait ,( plus de satisfaction que ses oeuvres ni lui n'en m(!rilaient. , Floridablanca le traite trs amicalement lorsqu'il lui fair faire son portrait, en 1/83. Son Aliesse lui a fair mille honneurs dont il es[ ravi : elle l'a emmen! deux fois  la chasse et a daignd lui dire, sur un beau coup de fusil- (( Este pintamonas es mas aficionado que yo. , Ce peintre de singes est plus habile que moil... , Et Goya de s'ex[asier - (, Ces princes sont des anges! , AprSs Florida- blanca, Godoy; en '96, Goya fair son portrait  Aranjuez, et le trsie prince se fair bon prince. , Le minisire s'est surpassd en attentions, m'amenant  la promenade dans son carrosse, et me faisan[ les plus grandes ddmonsirations d'amitid, me per: meitant de garder mon manteau  table, car il faisait trs froid; il apprenait  parler avec la main (n'oublions pas que Goya dtait sourd)e[ il s'inierrompait de manger pour me parler ; il voulait me garder jusqu' Phques pour peindre le portrait de Sabedra (qui est son ami), et j'aurais dtd heureux de pouvoir le faire, mats je n'avais ni linge ni chemise pour me changer. , En 499, il est au comble de la faveur; il ne se sent plus de joie et s'dcrie avec enthousiasme (lettre du 3 octobre) -  Les rots sont fous de ton amil Los reyes estan locos con tu amigo! , Mats, grisd par ceite faveur, il tourne un peu au Jeannot de la Jeanno[ire, l'ami du simple et modeste Colin. Rappelons-nous ce qu'il disait en un jour d'orgueilleuse fran- OUI MIEUX CONNATIE GOY. 6 II. m LES CARTONS DES TAPISSERIES En t7 ou "5, Goya rentre de Rome . Madrid; il n'a pas trente ans; il sent en tout son tre une force exubdrante; la jeunesse et l'alldgresse frdmissent en lui; il s'abandonne  la joie de peindre, comme  celle de vivre, passionndment, dans , le monde et pour le monde, grisd de plaisir, de lumire et de couleur, et de succs. Cela durera de longues anndes, non sans dclipses, non sans orages; puts viendra la vieillesse, avec la surdit; viendront les ddceptions, d'autant plus cruelles. Voyons donc le maitre  l'ceuvre dans les jours clairs pour mieux le voir, par contraste, aux jours sombres, en proie au pessimisme et aux satiriques colres. Pendant un an ou deux, il s'essaie et ttonne. Une lettre  son fidle ami Zapater fair mention d'un tableau, une Vierge des douleurs; c'est le seul, aujourd'hui perdu. Tout  coup, une commande selon ses godts, et voici Goya lance, bientSt clbre. I1 dut cette bonne fortune, trs certainement, h son beau- frre Bayeu. Mengs, qui rdgentait alors l'art espagnol, avait mission de choisir quelques peintres et de les charger de faire des modules pour la fabrique royale de tapisseries de Santa Barbara. Cette manufacture, fondde par Philippe V en l2i, et dtablie  la Porte Santa Barbara, d'oh son nom, (!tait tombde dans une triste ddcadence; elle dtait alors dirigde par le fla- mand Vandergoten, qui pouvait avoir la tradition de la belle technique de sa patrie, mats dtait mddiocre artiste et pibtre directeur. Floridablanca, qui cherchait,  la fin du rbgne de Charles III, k faire revivre et prospdrer les industries de l'Espagne, n'oublia pas celle qui dtait si ndcessaire aux traditions de grand luxe de la cour et des riches. On connait le rble que jouent maintenant encore dans routes les cdrdmonies, proces- sions, ddfilds, f6tes publiques et privdes, les tapis et les tapis- series, les soies et les velours brodds d'argent ou d'or que l'on dtend et que l'on tend pour ddcorer les escaliers, le murs, les balcons et les fa(ades. II n'est si petit bourgeois qui n'appende i sa fen6tre ou k son balcon une colgadura peu prd- cieuse, mats dclatante, au passage de quelque beau cortbge. La (:our de Madrid possde de merveilleux trdors de ces tapices, 8 IEVUE DES DEUX MONDES. dont chacun est admis  admirer la splendeur au Palais Royal, .aux jours de Chapelle publique. Mats Santa Barbara ne pro- duisait plus que mdcaniquement et par routine des piices de second ordre et de second choix. Floridablanca donn-a tout pouvoir  Mengs pour la tirer de cette orniire. Mengs songea d'abord t renouveler et rajeunir les mod/les;  ses collabora- teurs de la premiire heure, RamSn Bayeu, Jos Castillo, Manuel 5apoli, il adjoignit Goya.. On a trop dit que notre peintre fur, en ce domaine spdcial, un novateur; c'est inexact. I1 a assez de titres  l'originalitd sans qu'on y ajoute celui-l.. La vdrit est qu'avant lui les tapissiers de Santa Barbara se plaisaient surtout aux imita- tions et aux copies plus ou moins heureuses des Tdniers, mats ils y ajoutaient des scines populaires espagnoles. Goya, loin de rompre avec la tradition, la suivit. Seulement il y apporta son style. D(!j Bayeu, Castillo, Gines de Aguirra avaient reprdsentd des suje'.s de genre, des promenades, des ' danses, un ddbit de chocolat, un chasseur tirant un oiseau, un pcheur; mats ces motifs restaient exceptionnels, sacrifids aux reproductions courantes et aux froides all(!gories; c'dtaient d'ailleurs des sc/nes mortes, sans caractire ;. Goya peignit des tableaux mouvement(!s, colords, vivants. On les jugeait mal, avant 1869. Les tapisseries exdcutges par ]a Fabrique, telles qu'on les voit aux murs des Palais royaux et  l'Escorial, sont de dessin incorrect, de couleurs heurtes et dures, souvent criardes; les traducteurs, qui en ont pris h leur aise avec l'auteur, simplifiant, ajoutant, modifiant les attitudes, les formes et les nuances, l'ont trahi; Goya parait ici tris peu suptlrieur  ses mules. Mats en 1869, M. Cruzada Villaamil retrouva dans une cave du Palais Royal de Madrid un rouleau de 2i3 toiles-mod/les, de cartons, comme on dit, qui, aprils avoir rould un peu partout, avaient dchou! dans cette ombre, fort compromises; /3 sont signdes Goya'on les admire depuis lots auPrado. Tousles cartons ne sont ni du mme style, ni de la mme valeur; c'est qu'ils ne sont pas de la mme date. Les premiers sont de '/'/6, le dernier de '/91.; en quinze ans, tout artiste ale droit de modifier sa maniire et d'6tre in!gal. Par bon- heur, Goya ne changea passes th/mes. Buveurs, chanteurs, joueurs de cartes, types populaires, promenades b. la campagne, POUn MIEUX CONNAtTnE GOYA. 69 diners sur l'herbe, sc/nes rustiques, jeux d'enfants et divertis- sements varids, voile, les sujets auxquels Goya reste fidle. C'est un charme, au Prado, de s'arrter devant chacun de ces panneaux si brillants; de se mler  ce monde bigarrd, joyeux et pittoresque, si loin de nous, oh s'voque route l'Espagne dis- parue des romerias et des fandangos, des majos et des maolas, route l'Espagne real connue des enfants et du peuple, de la ville et des champs. Ce sont des pages d'une tincelante illustra- tion dcorative, lestement conues, brosses d'un pinceau large, haut et fiche en couleur. Chacune mdriterait d'etre dcrite; choisissons parmi les. plus significatives, les plus diverses, et de dates distinctes. Celle qu'il livra la premiere, le 30 octobre '/'/6, appelle, naturellement, une route spdciale attention. Elle a pour sujet : Un gozter au bord du Manzanarbs. Ce n'est pas une des plus intdressantes par le thbme choisi. Cinq jeunes gens assis finissent de se restaurer b. l'ombre : --il y avait sans doute alors de l'ombre sur les rives d'un Manzanarbs aux'eaux plus abon- dantes... A une jeune marchande d'oranges accorte et peu farouche qui passe ils jettent des fleurs en buvant  sa santd. Des groupes d'arribre-plan s'arrtent ou circulent en causant;  droite, un chien ronge un os; les arbres, le ciel nuageux, le paysage de collines agrdmentent la scbne. Ce qui frappe, et enchante, c'est le naturel des poses et des gestes, la gaitd des visages, le pittoresque des costumes; c'est, avant tout, avec l'exdcution large et rapide, la richesse de la coloration trs montde et vigoureuse. Mengs, le pMe et timide Mengs, dut tre singuliirement surpris de cette vision, de cette technique, si nouvelles, si personnelles, de rant d'audace et de libertd. Mais, homme de gofit, il fur sdduit certainement, puisque la toile fur payde "/000 rdaux, qu'on mit la tapisserie au mdtier (le tissage futexdcutd en l'I'I'I), et que lescommandes se succddirent. Et comment n'aurait-il pas admird ce qui tout d'abord saute aux yeux, la puissance des rouges, des bleus ou desjaunes haut montds dans l'ombre comme dans la lumibre, les merveilleux eflets de clair obscur? Voyez par exemple la tire du galant en veste bleu de ciel qui, tout en buvant, glisse .par-dessus le bord deson verre une ceillade h l'orangbre : son front, son nez, tout le haut de son visage est dans l'ombre de son bicorne;sa joue seule et sa narine s'dclairent, mais dans l'ombre sa jeuno POUI IIEUX CONNATRE GOY..  plus (ildgants atours, jupes perldes, tabliers de dentelle, basquines de velours, fichus de linon ](!ger, bonnets tuyautds, enrubands, menus escarpins pointus, de satin. Le joyeux quatuor s'amuse et l'exprime .franchement; les yeux p(!tillent, les bouches rient et sans doute les lazzis volent; c'est justice, car le pauvre pelele esL bien la loque la plus plaisante, avec son corps de paille qui, tout gesticulant, reste inerte, et sa face enluminde de carton qui se.d(!jette, impassible sous la perruque oh la queue fr(!tille. Natural et fantaisie, couleur claire, bril- lante, viva et nuanc(ie, tout est rduni dans ce tableau charmant, auquel rien ne manque, sinon le cadre gracieux du salon d'(!ti dont il devraiL 6tre l'exquise parure. Enfin, jeux de seigneurs, sinon de princes, la Gallina ciega,  la Poule aveugle, , ou, comma nous disons, , le Colin Maillard, , est le triomphe de la note lumineuse et de l'alle;- gresse; Goya ne pouvait pas, depuis la Vendange, se surpasser; il s'esL (!gald du mains, dans une ceuvre plus importante, avec une supr6me maestria. De riches citadins envolds  la campagna sont en pleins (!bats, libres et joyeux. Jeunes gens et jeunes femmes, en grande toilette au bard d'un fleuve oh l'on a peine h reconnaitre le Manzanarbs, non loin d'une sierra vaporeusa oh sur les hauteurs azur(!es bleuit la neige rafraichissante, ils sont neuf qui ant nou(! leur ronde higbre. Un galant,.les yeux band(is, maladroit, titubant, [fitonnant comme un aveugle, cherche h toucher du bout d'une cuil'ler de bois une victime qui se d(!robe. Le paysage s6vre eL nu form un curieux contraste avec ces tulles a6riens eL blonds, ces dentelles, ces velours, ces satins, ces pasquilles, ces chapeaux de plumes e[ de rubans, ces casaquins, ces vestes et ces culottes, ces escarpins, routes ce.q modes raffin(!es de la Cour, route cette jeunesse dor(!e. A larges coups de pinccau le peintre fair vivre ces aimables couples tout  la joie de leur luxe et de leur d6seuvrement; h chacun il donne un caraclre et sa grace propres. La jolie poupde rosa aux cheveux poudr(!s qu'on devine, h gauche, amoureusement regard(!e par un svelte adolescent h bol(!ro d'incarnat, route menue et figde dans ses falbalas, n'est-elle pas bien amusante, en face de la souple jeune femme qui s'agenouille et se renverse pour (!viter la poule aveugle, et dont la faille fine sous le corsage clair, les riches (!paules sous le tulle nuageux s cambrent si joliment, dont lea yeux espigles rient dans le rouge et dans.la poudre du visage? Goya, pour peindre cette aimable soci!tg ldgire, a des raffinements exquis de couleurs chaudeset de tuances ddlicates, et tout ce luxe des !toffes et des chiffons n'est que le d(!cor harmonieux et ndcessaire des (!ldgants modules dont ce sont ici, sans aucun doute, les portraits. D'aucuns,  propos de ces f6tes, ont (ivoqud le souvenir de Watteau et de Lancret, de Bouchcr et de Fragonard. Nous ne les suivrons pas; le sentiment, l'inspiration sont tout autres. Boucher ne doit rien ou presque rien  la nature; chairs blanches et roses, abandons et caresses, plaisirs et voluptd ldgre, mytho- logie galante et boudoir, [out ce monde est fantaisie pure. Qu'a donc h faire ici Goya, le sincere, l'observateur amus6, mais pdn(!trant et prdcis, d'une soci(!ti qui revit, r(!elle et vraie, sous son pinceau? Qu'a donc . faire Goya le sincire, mats aussi le chaste, avec le d(!shabillo:, le retrouss(! libertin de Fragonard? Quant . Watteau, -- ne disons rien de Lancret, qui le refl/te, ---- ses f6tes sont des f6tes galantes; ses assembldes dans les parcs sont des assembl(!es d'amants; les hommes et les femmes, les statues de marbre, les arbres et les paysages, le soleil et l'ombre, tout chez lui respire l'amour. Une volupt(! berce les couples alanguis qui se frblent; il passe un frisson de ten- dresse et comme un murmure de baisers. Pour dix qui s'em- barquent vers File heureuse, combien ont d(!j ddbarqu(! dans Cythbre, mats dans une Cyth/re de r6ve, loin des vul- gaires r6alitdsl C'est une plume ldgbre envol6e de l'aile de Cupidon qui suavement dpand sur la toile po6tique comme des caresses de couleurs. Notre Aragonais plus rude n'a pas de ces tendresses; sa grace plus ferme est mieux dans la nature vivante et la lumire. L'Espagne dclatante et sonore n'admet pas de ces enveloppements myst(!rieux, et ses 6bats au bord du Manza- nar/s, ses causeries, ses danses sur l'herbe, ses coplas et ses gui- tares, ses ceillades, dans leur franchise lumineuse, sont jeux innoceats aupris des galanteries dangereuses au fond des parcs ombreux de Watteau. Les modules de Goya n'enchantaient pas les tapissiers de Santa Barbara, qui les trouvaient trop difiiciles se plaignent que ce sont des Majos et des Majas, avec rant d'agrd- ments de r!silles, rubans, chignons (carambas), gazes, pas- quilles et autres menus ornements, que l:on perd beaucoup de temps, et que le travail ne produit rien. C'est sans doute pour STI PHANE MALLARMI . ET FRANGOIS COPPICE LETTRES INEDITES C'dtait dans le petit rez-de-chaussde de la rue de Douai, chez Catulle Mendbs, vers 1865. I1 y avait lk Ldon Cladel, trs hirsute, tout en barbe et en cheveux ', avec un faux air de Christ du Midi; Albert Glatigny, real rasd comme un com6- dien en vacances, maigre jusqu'k la transparence et grand jusqu', l'inllrmitd; L6on Dierx, grave et pMe visage; Jos6_ :Maria de Heredia, beau crdole de Cuba, trs brun, cheveux bouclds et barbe frisde; Villiers de l'Isle-Adam, aux yeux bleu pMe, rejetant d'un geste de tgte sa chevelure en ddsordre, tor- tillant sa petite moustache blonde, roulant une cigarette d'un air farouche. II y avait Ernest d'Hervilly, Ldon Valade, Albert lIdrat, Gabriel Marc, Jean Marras, Emmanuel Glazer, et bien d'autres. C'est 1. que (1oppde vit, pour la premiere fois, un singulier porte, exactement de son age, celui qu'il appelle ", le compliqud, l'exquis Stdphane Mallarmd, petit, au geste calme et sacer- dotal, abaissant ses cils de velours sur ses yeux de chvre amoureuse et r6vant . de la podsie qui serait de la nusique, des vers qui donneraient la sensation d'une symphonie. ,, Mallarmd dtait parti, . vingt ans, vivre en Angleterre pour apprendre l'anglais, et se crder, par l'enseignement de cetle langue, les ressources propres t assurer son inddpendance intellectuelle. En t863, il avait dtd charg6 de cours au l,-cde 68. BEVUE DES DEUX MONDES. Cette conception trouva son principal interprte dans un dcrivain un peu oublid aujourd'hui, mais auquel son aptitude aux grandes gdndralisations, son imagination  la fois philo- sophique et podtique, sa parntd d'esprit avec Michelet et Quinet valurent sous Louis-Philippe une heure de notoridtd..L'ouvrage (Au delh du thin) que Lerminier-publia en 1835 shr l'Alle- magne, dont il examinait avec une dgale sympathie les tendances intellectuelles et les aspirations politiques, s'ouvrait par une description colordc des diverses rdgions qui la composent. Comme plus tard M. Maurice Brrs, il s'effor(ait de mettre en lumire le caractre mixte des villes rhdnanes, fran(aises par certaines de leurs affinitds, mais ,, portant au front l'empreinte du gdnie germanique; , il en concluait que , le Rhin n'est pas enfermd dans un empire, mais sdpare deux nations; ses bords ne peuvent s'appartenir i eux-m6mes; les provinces de la rive gauche doivent 6tre des municipalitds fleurissant sous le protec- torat d'un grand ltat. , llais quel sera cet ltat ? Le plus digne, rdpondait l'auteur, celui auquel reviendra, la palme de la civi- lisation et de l'intelligence. ,, Que la France, abandonnant route pensde de conqu6te directe, se contente d'exercer sur les Rhd- nans la sdduction de ses qualitds, qu'elle se montre ,, bienveil- lante et ddsintdressde,  et elle les verra naturellement venir  die : (( Ce n'est point une condition malheureuse que sa protec- tion. Ils pourront trouver un jour plus de douceur i reconnaitre la supdrioritd de Paris que de Berlin. , Quant aux Prussiens, il faut compter sur leur sagesse pour qu'ils sentent la ndcessitd de se fortifier autour de leur centre et pour qu'ils renoncent d'eux- mgmes k des provinces dont l"me leur dchappera, puisqu'elles seront soumises i l'influence intellectuelle de la France. C'dtait li faire preuve d'une belle confiance en la souve- rainetd des forces morales. Ces illusions, communes k beaucoup d'esprits dlevds, re(urent bientbt des dvdnements le plus brutal des ddmentis. En 1840, la question de Syrie, en opposant la France i l'Europe, faillit ddchainer une guerre gdn6rale. La crainte de voir la vallde du Rhin en devenir le thdtre provoqua dans route l'Allemagne une explosion de passions gallophobes; elles trouvrent leur expression populaire dans la fameuse chanson de Becker, le thin allemand, dont le refrain pouvait se rdsumer d'un mot: (, Venez donc nous le prendrel , On se rappelle quel fur l'effet de ce ddfi sur l'opinion franqaise. Tandis ... LA QUESTION IIINANE ET L POLITIQUE FRANqAISE. 69.3 qu'obtenir d'eux quelques satisfactions secondaires, mats dut. souserire, lors des prdliminaires de Nikolsbourg (26 juillet),  l'expulsi0n de l'Autriche hors de l'Allemagne et  la formation d'une Confdddration restreinte au Nord du Mein. Les prdtentions pru.ssi.ennes se trouvaient done satisfaites avant mtme que les revendications franaises n'eussent dt(- formuldes. Faute d'avoir su lier la seconde question  la pre- miere, le Gouvernement impdrial ne pouvait plus ni l'dluder ni la rdsoudre. Comment prdsenter i un peuple exaltd par son triomphe des demandes que l'incertitude de la victoire et le besoin de l'alliance fran(aise auraient seules pu lui faire accepter deux mois auparavant? La dernire consigne laissde par Bismarck  sa presse officieuse, avant son ddpart pour l'armde et aprs les premiers succs (1 e' juillet), dtait la ddfens. de risquer la moindre allusion aux provinces rhdnans. Mats comment, d'autre part, rester insensible k ce tressaille- ment d'anxidtd patriotique qu'avait provoqud en France le coup de foudre de Sadowa, lorsqu'en dtaient apparues les premiires consdquences? Pour balancer l'extension ddmesurde de la Prusse, l'opinion rdclamait des compensations avec une ardeur tellement imprcssionnante que Napoldon III, affaibli ddjk par la maladie, se sehtit incapable de rdsister  ses entrainements. De lk trois ddmarches  la fois hMives et tardives accomplies successivement  Berlin, oh elles furent accomplies sans grande conviction et repoussdes sans grande peine. --Tout d'abord, Benedetti rdclama l'annexion, non seulement de la Bavire rhdnane, mats encore de cette forteresse de Mayence que Bismarck avait toujours ddclard ne vouloir cdder i aucun prix : ses demandes essuyrent un refus courtois, mats ca.td- gorique ( aoft).- Le ministre des Affaires dtrangres, Drouyn de Lhuys, ddsireux de ddgager sa responsabilitd d'une politique qu'il ddsapprouvait en secret, imagina ou plutSt rajeunit une autre combinaison d'aprs laquelle la rive gauche du Rhin serait cotrstitude en ltat autonome, mats allemand, neutralisd comme la Suisse, et oh trait rdgner la branche cadette de la Maison de Hohenzollern. Pour que ces propositions si moddrdes ne parussent point contredire celles de la diplomatic officielle, il chargea un agent secret, Hansen, de porter  Berlin la longue note oh elles dtaient ddveloppdes : les projets de neutralisation n'y trou-- virent pas plus de faveur que les projets d'annexion et son ]EVUE Ll_r rRAIE. '01  la maison, reprendre sa coutume et l'imer davantage encore. C'est dommage qu'ayant alors dtudi/ les plus savants et parfaits pontes, il n'ait pas acquis, sans perdre ses qualits, quelques-unes des leurs, un soin plus attentif et plus ddlicat des roots et du vers. En ddpit de leur conseil, qu'il ne semble pas avoir entendu, il a continu/ d'etre, jusque darts ses meilleurs moments de podsie bien jaillissante, un poSte un peu ndgligent. Par exemple, il se fie trop nonchalamment  une facilit verbalc qui le mne vite et qui ne lui laisse pas le temps de surveiller son vocabulaire. II emploie trop de roots et beaucoup trop de vains adjectifs. La plupart de ces adjectifs ne sont I que pour la mesure, mais ils n'ajoutent rien  l'idde : ils rhabillent d'une/toffe trop large et vulgaire. On n'hdsiterait pas t les ter, si l'on transcrivait en prose la strophe qu'ils encombrent.  Or, il est vrai qu'un vers, qui doit avoir un nombre dOermind de syllabes, mme si la pensde ne demande pas ant de syllabes, ne se fait pas tout seul : il faut qu'on le fabrique. Ce que la pense ne lui fournit pas, on le lui procure en ,, chevilles. ,, Et Banville disait qu',, il y a toujours des chevilles, darts tousles pomes. ,) II ajoutait : ,, Ceux qui nous conseillent d'dviter les chevilles me feraient plaisir d'attacher deux planches l'une h l'autre au moyen de la pense, ou de lier ensemble deux barres de fer en rempla(;ant les vis "par la conciliation.  ll y a, disait-il encore, autant de chevilles dans un bon po/me que dans un mauvais; seulement les chevilles d'un bon pome sont des miracles d'inven{ion et d'ingniositd. M. Louis Mercier n'a point appris h ifaire de ces prouesses, qui, chez Banville, sont divertissantes et jolies, et qui, chez lui, dans ses pomes de la nature paysanne et de la vie simple, seraient fficheuscs. Les Voix de la terre et du temps ne devaient 6videmment pas emprunter les fa(ons,.les malices, le d61icieuses roueries des Odes funambulesqes. Telles ( chevilles )) de M. Louis Mercier vous ont un bon air de naivet6, que je pr6fre fi plus d'adresse. Pourtant, je ne les aime pas. Je n'aime pas lea vers que voici, dans le recueil de " l'Enchantde : Hier, monme dtait obscure et dsole Et solitaire ; mon me tait un vallon , Triste dont route l'eau se serait coulde, Et d'ofi montait parfois un sanglot morn.e et long... li je n'aime non plus ce commencement d'un pome des Voix de la terre et du lemp : 0 ]EVLE DES DEUX MONDES. de(, Celle qui vient quartd la lampe est-morte; strophes biea i'rmisrtes. Voici enlrebfiille. Avec beaucupd'ingniosit, d'invention, de talent, M. Louis Mercier dveloppe chacun de ces-cliff, rents thmes d'un iout  ]'autre d son livre,  la manire un peu d'un alexandrin {ela, quelque temps, amuse. Mats l'on sent bleater le jeu; l'on salt la rle du jeu : l'on se dit qu'avec un peu d'exercice, on y jouerait, avec un peu d'exercice et de patience, car il en faut_ C'est pourtant  la fin de ce volume qu'il y a le pome admirable des ,, boris semeurs de bl qui furent es ancOres, , la demande de leur pardon pour n'avoir pas continu leur sillon. Qu manque-t-il  ce Pome de la maison ; dans sa longueur? Ce qu'il y a si bien dans le dernier pisode : un sentiment plus intime, une vrit plus particuli/re et j'allais dire, plus confidentielle. M. Louis Mercier me semble parrots ua porte de la vie iatime et qu'une dlicate pudeur rend extrraement farouche. Le oi n'est pa toujours haissable; on devie que le sien ne le serait pas. Mats il s'chappe et, n'osant pas se montrer, se rfugie dans le lyrisme, ll est en pleine po6sie, loin de sa maison, loin de son champ, loin de sa tche, quand il 6crit son chef-d'oeuvre, le grand po/me de Lazare le ressuscitd,  propos duquel je me souvenais de Vigny. Par son ampleur, par la mditation qu'il r6sume, ce Lazare ne d6parerait pas le recueil des Deslindes, sous les r6serves que j'ai failes. Mats la pens6e en est tout autre ; et comme les Destindes sont des po/mes d'incr(!dulit6, le Lazare est un po/me chr6tien. Le porte du Lazare est un croyant. II l'a toujours 6t6 : ses po6mes de vingt ans le prouvent. Si je le dis, c'est qu'il se distingue, de cetto mani/re, d'un assez grand hombre de convertis que l'on remarque dans la litttrature contemporaine et qui, avec de r6centes vertus, on! aussi des iaconv6nients. Leur religion a quelque chose d'affich6; leur vie int(rieure est tout le temps dehors. II ne leur souvient gu/re (h  l'erreur o ils baguenaudaient- et les voici tottt  l:orgueil de bien faire, lls choient de la m6cr6ance aaodine dans le pharisal'sme c! n'ont ni indulgence pour le prochain ni humilit pour eux-m6mes.. lls sont fort d6plaisants. Leur certitude sent la peinture fraiche. La religion de M. Louis Mercier tui est n.aurelle et fait partie des senti- merits que r6vle son oeuvre o s'6panouit son me. Elle apparait (lms le Podme de la maison . Ce Christ fumeux pendant au mur qui se crevasse Itait vieux comme il est et d6jfi vermoulu 'l BEVUE DES DEUX MONDES. relient; il cherche encore ..biaiser, " {rouyer. des chappaloires. Tout son art consiste  amener M. Poincar5 _ des concession.s, qui lui. , auveraient la face ;: )).. la fin de la .r.sistance, d6j presq_ue acquise par la volont spontan6e des habitants, il voudrait la pr6senter comme le rsultat d'un accord, comme une concession de la. part de l'Allemagne; ce serait une paix sans vainqueur ni vaincu, comme celle qu'a cherch6e Ludendorff en 1918. Et pour amener M. Poincar6 et M. Theunis  lui conc(der le retour des fonc- lionnaires et des ouvriers, expuls(s, l'amnistie, l'ouverture des prisons, il agite le spectre de la r6volution et de la dislocalion de l'Allemagne. Le ( bloc rouge ) de l'hllemagne centrale : Saxeo Thuringe, Brunswick lui apparait aussi mena(;ant que le nationa- lisme bavarois et le sparatisme rhnan. Nous savons que M. Stre- semann n'est pas sur un lit de roses. Les impSts vot(s in extremis fi la demande du chancelier Cuno ont fait un fiasco complet. M. Hilferding a pris de _nguvelles mesures qui apparaissent.aux conservateurs de Bavire et de Prusse comme le prelude de la socialisation des fortunes privies : saisic des devises trangres avec, pour y parvenir, suspension des garanlies consiitutionnclles, de l'inviolabilitd du domicile, du secret des correspondances; d(claration obligatoire des mtaux pr(cieux. Toutes ces mesures sJt loin de produire les effets escompts; la population alle- :ande oppose, aux mesures fiscales, une r(sistance passive; les laysans bavarois refusent publiquement de payer. La situation linancire est dsesp(r(e et il ne reste au Gouvernement du Reich qu'une issue" celle de la franchise et de la droitur'e, l'aveu que la politiqu_e du chan_celier Cuno fut aussi n6faste fi l'hllemagne que cclle de Guillaume II, le ferme propos d'arriver avec la France h un a('(.ord pour les rparations. La presse allemande rec.onnait, el la p'esse libralc anglaise constate avec dsolation, que la politique franco-belge a rdussi; une fois encore, l'hllemagne devra subir la paix, mats le Chancelier cherche encore i luder la fatale, ncessai'e et finalement bienfaisante chdance. Ses dclarations du 12 sep- lcmbre n'ajoutent rien h celles du 7 ; elles renouvellent l'expos d'un -projet bien connu puisque c'est celui du banquier Marx, qui consiste 'h prendre hypothque, au profit des rparations, sur les biens des particuliers et  organiser, la participation des cranciers de l'Alle- magne aux bn(flces de ses.'industriels. Toute.la tactique du Chan- celier c:est d'ob[enir de lI. Poincar quelque concession qu'il puisse' prsen(er comme un succs. IEVUE DE DEUX .SIONDE. tambour et la flfite. Et aprs le tourner, on lit le Coran et le Mesndvi et ensuite des prires en turc. -- La musique que j'entendrai fut-elle composde ou tout au moins choisie par Djelal-eddin? -- Elle nous vient" de bouche en bouche par tradition. --Les pomes que l'on dit pendant le tourner et que vous aitribuez . Djelal-eddin sont sfirement de lui ? -- I1 avait l'habitude de porter avec lui une fldte de roseau et un petit tambour. En tournant, il disait des vers; ses musi- ciens les transcrivaient, les mettaient en musique et, au plus prochain concert, les chantaient. -- Je vous demande que vous ne vous lassiez pas de m'expli- quer le ddveloppement de la cdrdmonie. -- Au commencement, vous verrez quelques promenades et la musique s'dlvera. C'est pour prdparer  l'exercice de la danse. Tous s'agenouilleront et frapperont de leurs mains sur le plancher, puis ils se lveront, signifiant ainsi des hommes qui meurent pour ressusciter. Et alors ils commenceront h marcher en processionnant autour de la salle de danse... Pendant cette promenade, la musique joue, et cela signifie qu'apris avoir ressuscitd ils marchent vers Dieu. Leurs trois tours achevds, ils sont devant Dieu... Le Tchdldbi tient la place de Dieu. Non qu'il soit la personne de Dieu, mais il est son reprdsentant. Il n'a pas les forces de Dieu, mais il a la force d'accomplir les ordres de la divinitd. En cette qualitd, j'autori- serai  danser... La premibre danse, alors, c'est la science; la seconde danse, c'est de voir avec les yeux; la .troisime danse, c'est la pdriode de l'entire connassance... A ce troisime degrd, les danseurs sont inspirds, ils sentent tout ce qu'ils doivent sentir; c'est la fin de leur ddsir, c'est une extrme puissance que je ne puis exprimer. Ils dansent, sans savoir ce qu'ils font. -- Je trouve ces explications bien intdressantes, et je remer- cie M. le Supdrieur; mais ne sont-elles pas un peu abstraites? Je voudrais avoir dans les mains le livret de l'opdra que je vais voir danser. Puis-je tenir dans mes mains les textes ? -- II y a un ou deux exemplaires liturgiques dans chaque tekkd. Le choix des textes a dtd fair par les sucesseurs de Djelal-eddin. --I1 ne me suffirait pas d'avoir les textes. J'en vtudrais UIE ENQUTE AUX PAYS DU LEVANT. 733 bonne[s ; elles jetaient dans ses.souliers tous leurs joyaux, avec l'espoir qu'il leur accorderait, une faveur; mats aprs avoir accompli la prire du matin avec elles, illes quittait. C'dtaient lh, semble-t-il, des sdances fort tapageuses, car, une nuit, un groupe de Djinns qui habitaient le quarrier vinrent se plaindre  ces dames : ,, Nous n'avons pas,-dirent- ils assez schement, la force de suppo'rter tout cet dclat de lumire. Dieu vous garde qu'une douleur vous atteigne par notre faute. ,, Elles all,rent rapporter cette demi-menace k Djelal-eddin, qui sourit et d'abord se rut. Aprs trois jours, il dit:  Ne vous prdoccupez pas. Tous ces Djinns sont devenus mes disciples, ils ne causeront de peine ni h vous, ni  vos enfants, ni  vos amis., I1 y a aussi des histoires de saints derviches et de femmes inquiries, des anecdotes qui ddcouvrent avec_ une dtonnante brutalitd le mgpris des hommes de Dieu, en Orient, pour les personnes du sexe, et la part d'rotisme qui se mle au mysti- cisme brut, non encore dpurd par l'lglise. Mats il faut que je m'arrte. Si Konia m'enchante au point que je n'y peux connaitre la fatigue, je dois compter avec celle du lecteur. Dieul quel ennui de quitter bientSt un lieu tout brillant de ces trdsors sur lesquels l'ombre va redescendre. Le silence que j'ai troubld va se rdtablir dans ces petites mosqudes des saints. Leur solitude profonde donne le plus beau sens k ce mot d'un Cheikh qui durant une danse, aprs la mort du porte, dit :  I1 est venu comme un dtranger dans ce monde et s'en est alld de mme... ), Cependant, visible de routes parts, une pyramide de faience d'un bleu verdfitre surmonte son tombeau, et cette haute tur- quoise ddcoupde sur l'azur m'appelle. L'heure du concert est venue. Je vats me plonger dans ses extases, qui compltent:tes ddlires des Bacchantes de Byblos et le sdidisme des jardins d'Alamout. o Me revoict dans le couvent des Derviches tourneurs et dans leur salon de danse, surmontg d'une coupole et planchgig d'un bois blanc poll par le frottement. Pour l'instant il est vide. L lublic s'amasse dans la salle-vestibule, et seuls les privilgigs, '3 nEVUE DES DEUX MONDES.  "  chacun le salut qu'il a offert au porte. I1 s'incline en mettant la main sur son cceur et la pointe de son pied droit sur son pied gauche, comme il a mis sa main droite sur sa main gauche. Rien de plus modeste. Et  chacun des tours, chaque fois qu'il passe devant le tombeau, il fair derechef trois pas et un salut. Que c'est beau, ce moment off le grand porte est l'objet commun, le centre, le cceur de route activitdl Il est mort depuis sept sicles, mats ses ills se ddclarent lids  lui et re(oivent de son gdnie, de sa personne un secours, un rythme, sur lequel sans plus tarder les voil qui s'dbranlent. Cette marche des derviches, une force monotone, constante, une force qui se m!nage, l'alh!gresse d'un moteur bien r(!gulier. 5on moths monotone, un concert de flfites et de tambour la rgle et la soutient. Le troisime tour terming, et le grand Tchdl(!bi ayant repris sa place, tous se rasseyent. Puts chacun se d(!faisant de son manteau, et Fun aprs l'autre, ils se jettent  l'eau : la danse commence. Jusqu'alors, c%tait une danse-promenade, une procession autour de la salle. Maintenant, chacun d'eux a laissd tomber son manteau, a salud, a (!tendu les bras, comme s'il prenait son vol, et tous de remplir de leurs tournoiements le plancher de bois blanc. Quand on commence  tourner, m'a fair remarquer le Tch(!ldbi, c'est comme la fin du monde ; il n'y a plus ni maitre ni valet; tous sont (!gaux, tous inspir(!s. Et pour le signifier on chan te les vers du Divan : , Cette maison oi il y a de la musique, demande au maitre de la maison quelle est cette maison... C'est cornrne la fin du monde og chacun s'occupe de soi-mme. Chacun est tellement occupd avec ses propres rjouissances qu'on ne peut distinguer qui est l'un ou l'autr. Est-ce un maltre ou un valet ? , Un  un, ils se sont ddeidgs, et eomme on entre dans la piseine, se ddtaehant de la piste, ils sont entrgs en tournoyant clans le centre du parquet. Ainsi dpouillds de leurs manteaux, vtus tout de blanc et d'une immense jupe plissde, oa l'air s'engouffre, et qui s'gvase en cloche, ils pivotent eomme des toupies plus ou moins rapidement, mais tous d'un mmc air eoneentrd, sgrieux. Chaeun pour soi. Aprs un quart d'heure, ils s'arrtent, pour reprendre haleine sans doute, font un petit tour de piste, puis repartent. UNE INQUTE AUY PAYS DU LEVANT.  des fain(!ants qu'il n'a jamais rencontrds sur aucun des terrains off il cherche k itre utile. -- Et leur charmant grand-pr6tre ? --C'est un nouveau venu. Pour 6tre juste, on n'en parle pas real. Mats son p'(!d(icesseur ! Ah! celui-ltl Et l'Assomptionniste, le financier, l'agriculteur, de me raconter des histoires : Ca pr(!c(!dent sup(!rieur des derviches n'dtait pas sdrieux. Il avait une belle t6te, mats quelle ignorance, quelle ldgretd i Il disait : je voudrais aller t Paris, parce qu'on y trouve de jolies femmes. Il demandait si l'Allemagne (itait limitrophe de la France. Il aimait le vin de Champagne; la direction des chemins de fer lui en envoyait une caisse, tous les d.eux mois, pour entre- tenir ses sympathies. Quelque chose pourtant l'attristait, les mau- vats procddds du Vali. Le Vali l'accablait d'humiliations. Il s'en plaignait t Constantinople, mats personne ne lui r(!pondai t. Ses lettres arrivaient-elles ? II n'osait y aller volt. Comme le rble du Tchdldbi est de ceindre l'6pde au nouveau sultan, Abdul-Hamid avait ddclard :  Je ne veux pas qu'il paraisse ici; on croirait que je suis mort. )) Il n'avait pas le droit de s'dcarter de plus de vingt kilombtres de Konia. Comment 'obtint-il une autorisa- tion? Un beau jour il d(!clara h son entourage : ( La vie ne m'est plus possible, je fats le voyage. ) Cette fois le Vali fur inquiet ; il mddita, il consulta, et c'est alors qu'il trouva le plus beau de ses tours. Le matin fix! pour le ddpart, tout Konia 6fair t la gate. Le Tchdl(ibi bien install(i dans son compartiment saluait, saluait. Mats soudain il volt un rite universel. Le train (!fair patti, et son wagon restait. Le Vali avait donnd l'ordre de le' d6tacher. Le pauvre Tchdldbi compltement ddmoralis6 n'essaya plus de lutter... Je les interromps, tous les trois. -- Dieul que vous tes anticldricauxl Je vous assure que le Tchdldbi actuel m'a racontd les choses les plus intdressantes. -- Voilt, dit l'Assomptionniste, Monsieur Barrbs est ravi Il passe l'apr/s-midi avec le derviche et la soirde avec le missionnaire.. -- C'est vrai, mon P/re, je vats du Tchdl(!bi . l'Assomp- tionniste et de la dervicherie au couvent; je vois les uns animds par une vieille pende de la Perse, et les autres par de vieilles pens6es qui viennent aussi de l'Orient, mats clarifides, sanc- BEVUE DES DEUX MONDES. tifi!es, orchestrdes, organisdes par une longue tradition de chez nous. Cependant je ne vous fats pas de tort. Dans le mme moment oh j'aime ces derviches, mieux que jamais je vous aime, et je vois votre sup(!riorit(! hors de pair. C'est d'eux que je m'occupe le plus? Parce qu'ils sont la nouveautd. Rien ne m'dtonne chez vous, ni votre robe, ni votre br!viaire, ni votre vertu; je vous ai toujours vus; c'est vous qui avez faqonn(! les miens d'fige en age; vous faites partie intdgrante de mon patrimoine intellectuel et moral. Si je leur accorde, k ces (!trangers, plus de curiositd qu'k vous, c'est que je suis votre frre. Mme chez eux, votre pensde veille en mot, si prdsente, si agissante que je n'ai pas besoin de me la formuler. C'est encore cette pensde, dont vous-mme, vous ne rdalisez peut-tre pas assez la richesse, dolt vous ne connaissez pas les dernires racines, qui m'a pouss! lk-bas, ne m'dloignant de vous en apparence que pour re'aider k mieux vous rejoindre. Si votls n'aviez p!tri de religion tous ceux de ma race, mot, occup de curiosit!s plus basses j'aurais passd moths de temps chez le Tchdldbi. ,, Ah lj'entends, je vois sur vos lvres l'accusation de dilet- tantisme. Les dilettantes, ne vous htez pas de vous ddfaire d'eux. Ce dilettantisme, c'est la mche qui brfile encore. I1 ne faut pas que vous souhaitiez de mettre le pied dessus, de l'!touffer, de l'!teindre. N'allez pas pr(!fdrer.Voltairek Chateau- briand. Soyez rassurd et apais!, bon Pre, et songez aux rai- sons particulires de mon voyage. Si je n'(!tais pas homme k m'int(!resser aux derviches, peut-tre entrerais-je moins aisd- ment dans les sentiments qui conviennent aux d(!fenseurs des Assomptionnistes. I1 ne s'agit pas d'identifier des tres profon- ddment diffdrents. Des religieux de France repr(!sentent autre chose que des derviches d'Asie, mats enfin, k l'heure off je me prdpare k soutenir leur de:lense devant la Chambre, comment ne serais-je pas frapp(! de l'importance que tout l'Orient accorde h ses propres congrigations ? Je pars d'une mme curiosit(!; on me montre deux institutions qui se ressemblent; pour mesurer l'excellence exacte de l'une, ne convient-il pas que je pdntre aussi profond(!ment que possible ies secrets de l'autre? Et jamais mieux qu'ici je n'ai su pourquoi je pr(!fre  ces danseurs du tombeau ces rude lutteurs, qui sont en mme temps de tendres meneurs d'enfants. L'ENFANCE D'UNE SOUVEIAINE.  comte de Montijo, fid/le aux irides monarchiques et rdaction- naires, trSnit h l cour de Madrid. Veuf depuis quelques anndes, d'ue grande dame qui ne lui avait pas donnd d'hdri- tier, il dtait devenu h proie d'une cigarette. La rusde donzelle ne tarda pas  attirer au palais sa fmille loqueteuse,  rdsolue  accaparer le vieillard dana sa personue et clans ses biens. Pour s'assurer la possession du majorat, il ne s'agissait pas seulement de se faire dpouser par le sexagdnaire, il hllait aussi lui donner un ills. La premibre cgrdmonie 6tait la plus simple; la belle dtait si shre de son autoritd sur le vieux barbon, qu'elle n'eut qu' mettre Don Basile dana son jeu pour d6cider Bartholo au mariage, et lui persuader qu'en ldgitimant cette union, il s'assurait  la lois le paradis dans ce monde et dana l'autre. Le comte, paralysg, se laissa porter  l'autel par sa Dulcinde qui, tout en l'entrainant, paraissait le soutenir amoureusement. Le second point semblait plus al6atoire, mats, comme dit Corvisar[, passd soixante ans, un 6poux a routes les chances de devenir pre. Bientbt en effet on apprit que la nouvelle comtesse avait des espdrances, et, m6me si le comte mourait, elle accoucherait dans les termes prescrits par la lot. On exp6dia la grande nouvelle  Grenade pour pr6parer  la naissance de son beau neveu le comte de T6ba qu'on ne pouvait craindre de voir arriver h Madrid, car on le savait retenu dans sa prison... Mats on avait compt6 sans Dofia Manuela. Celle-ci ne se rdsigna pas aussi facilement au poco grato evento imprdvu et improbable, ni  la perte de la succession qu'elle 6tait en droit d'attendre pour ses enfanis. Tout en comprenant que le fair n'6tait gubre possible, puisque le comte de Montijo g6 et infirme 6tait paralysd de la t6[e aux pieds, elle craignit que, si l'on n'y avisait, la menace ne devint une rdalitd... Elle rdsolut de b6n6ficier de la lot espagnole qui donne aux intdressds le droit d'assister  la naissance de l'hdritier prdsomptif,  fuiur chef de la famille. La premiere difiicultd pour la comtesse de Tdba dtait de so rendre  Madrid" son mari dtant prisonnier politique h Grenade, elle ne pouvait rentrer dans la capitale sans une autorisation expresse de Sa Majestd catholique. Sur ces entrefaites, la comtesse apprit que le roi devait venir prdsider une cdrdmonie  Val!adolid o un grand bal lui serai 60 REVUE DES DEUX MO1NDES. position tout en lui dpargnant le procs dont l'issue diait douteuse et dont le scandale aurait pu l'envoyer en prison. Le palais se vida et on oublia dans la nursery le pauvre inno- cent qui n'avait pu se donner ]a peine de naitre. Heureuse de son triomphe, la comtesse de T(!ba se sentit prise de pitt(! pour l'enfant qui avait failli devenir le chef de la falnille; ella le recueillit et l'6leva avec ses filles. On ne tarda pas  savoir le g(!ndreux accueil qu'avait fair la comtesse de T(!ba au petit oubli(!. Peu aprs, la famille (!fair  souper : on apporta une vaste corbeille d'oranges que l'on plaqa au milieu de la table : quelle ne fuL pas la stupeur des convives en voyant les fruits rejet(!s I du pani6r fouler sur la nappe.., puts, apparaitre un petit pied rose, deux petites mains, une t6te fris(!e et souriante: c'6tait un nouveau-n(!l Une Espagnole avait eu un ills d'un officier fran(;ais : n'osant le pr(!senter  ,:a noble famille, ella l'avait envoy(!  la comtesse, sore de son humanit(!. En effet, Doha Ma- nuela l'adjoignit h l'autre et les (!lava tous deux avec ses enfants. oua achever son oeuvre, la grande comtesse eut un terrible P complice inattendu, le choh!ra, qui s(!vit " Madrid et tcrrorisa la population : les portes des prisons furent ouvertes et le comte de Tiba put venir retrouver sa compagne dans le palais de ses pres. La tragique apparition du fldau en Espagne pendant l'(!t(! de 1834 a fix(! les premiers souvenirs de l'Imp(!ratrice. La popu- lation de Madrid (!tail atterr(!e et, d'un coin de la ville  l'autre, les g(!missements r(!pondaient aux hurlements. Malheur  qui se for approch(! d'une fontaine : celui qui eOt effeuilh! une rose sur la margelle d'une citerne aurait (it(! impitoyablement massacr(!  Le peuple accusait les moines d'empoisonner les puiis. Le palais du comte de T(!ba, situ(i entre deux couvents, (!Lait- particulirement expos(i; dans la crainte qu'ellcs ne fussent impressionn(!es par la rue de sc/nes atroces, on avait formelle- ment d(!fendu aux deux petites de s'approcher des fentres, si formellement mme que Paca et Eug(!nie n'avaient qu'une idde : c'(!tait de regarder ce qui pouvait bien se passer dans ]a rue. Oa e!tait trop prdoccupd pour surveiller les fails eL gestes de ' IEVUE DES DEUX MONDES. Montijo fdt expulsde dans les vingt-quatre heures el: envoyde en Belgique. Prevenue du danger qui la mena'ait parson ami le Prdfet de Police, Gabriel Delessert, la comtesse obtint un passe- port pour Madrid off elle voulait aller s'excuser de son incartade auprs de son marl justement irritd. Ne pouvant emmener ses deux petites iilles, elle les mit au Sacrd-Cceur oh elles resibrent les onze mois que dura le sdjour de leur mre en Espagne. C'est sans doute grace / ce premier contact avec des Fran(aises, dans son tout jeune age, que Dofia Eugenia parla le langage de la nation, sur laquelle elle devait rdgner plus tard, avec une correction rare chez ses compairiotes gdndralement rebelles aux idiomes dtrangers. Et puis son correspondant s'appelait Prosper Mdrimde... Soixante ans aprbs les premiers rapporis de la petite fille avec le grand dcrivain, l'Impdratrice parlait doucement, longuement, tendrement, de celui qu'elle continua k nommer Monsieur Mdrimde,- les tres qu'elle a chdris dtant toujors vivants pour elle. C'est en Espagne, off il essayait d'oublier une rupture douloureuse, que Mdrimde fur prdsentd k M "e de Montijo par son mari h la suite d'une rencontre en diligence. La comtesse fur accueillante et compatissante pour ,, le jeune homme mdlancolique,  comme le ddfinit Ite,ri Beyle das une note manuscrite que je possde. Leurs relations purement amicales, quoi que l'on air prdtendu, se poursuivirent sans interruption pendant plus d'un demi-sicle. Les lettres de M  de Montijo furent brfldes pendant la Commune avec les autres papiers de Mdrimde dans l'incendie de sa maison, rue de Lille, mais les lettres adressdes k la comtesse, pieusement conservdes par elle, furent communiqudes par l'Impdratrice k Augustin Filon qut en orna son exquise dtude sur l'auteur de Colomba. L'irrdligidn de Mdrimde, disait plaisamment l'Impdratrice, lui est peut-6tre venue de ce que, pour rompre leur liaison, ,, ses dames , prdtextaient gdndralement un retour au. bon Dieu, -- auquel Mdrimde finit par en vouloir comme  un rival triomphant... L'lternel n'dtait du reste la plupart du temps qu'un pr6te nom, car le , bon Dieu , de Madame X... dont l'abandon avait fair partir Mdrimde pour l'Espagne s'appelait Maxime du Camp, q'{} EVUE DES DEUX. MONDES.. gres aux grands yeux heirs, aux tresses sombres, dent le teint dot6 rdvdlait l'origine exo.fique. Leurs compagnes anglaises, imbues des prdjug6s de race chers  leurs parents, les tenaient h distance et les consid(!raient de loin avec une sorte de curio- slid m(!prisante. Eugdnie, en revanche, rdvolt(!e de cette injus- tice, fur attir6e par la douceur et la tristesse r(!signie des nigno.nnes Indiennes. D'abord effarouchdes, celtes-ci ne tard/rent pas  6tre apprivois6es par la.radieuse Espagnole  la chevelure d'or qui les 6blouissait. Elles se laissaient interroger sur leur pays et, pendant les heures de rdcrdation, elles tenaient la curieuse suspendue k leurs 1/vres par les descriptions de ces contr(!es fderiques. Elles la ravirent au point de lui inspirer le ddsir de visiter ce paradis terrestre, ddsir qu'Eug(!nie porta dens son cceur pendant son existence entire, malgr6 ses aventures merveil- leuses et tragiques, et qu'elle ne put rgaliser qu'k sa quatre- vingtime annde. Les mdlancoliques Indiennes aspiraient t revolt leur chbre petrie ensoleiilde, qui leur apparaissait plus lumineuse encore  travers les brumes du Nord. Et l'Andalouse, qui regrettait aUssi le soleil d'Espagne, r6vait de les accompagner. Ces trois oiseaux battaient des ailes, emprisonnds dens cette cage sombre, et r6vaient de prendre leur vol vers ces fantastiques rdgions. Un jour, h la promenade de la pension, la petite Espagnole suivait la marche de la joyeuse troupe entre ses deux amies : routes trois ne purent retenir un soupir en voyant sur la muraille une grande aftiche illustr(!e annon(ant le prochain d6part d'un vaisseau pour les Indes... Un regard 61oquent est 6changd entre elles... Sans mot dire, elles se sent comprises et elles ont arr6t(i leur r(!solution : h un d(!tour de route, un encombrement de voitures les sdpare de leurs camarades, et elles se rdfugient dens l'embrasure d'une porte... Toutes palpitanies, elles attendent dens l'ombre pour laisser  la troupe le temps de s'dloigner, et, aprbs une demi-heure d'angoisse, elles se dirigent vers le quai de la Severn... Lk elles voient le grand vaisseau en cours de chargement, elles se glissent entre deux portefaix, entrent facilement dens le bateau et s'assoient routes trois sur le pont. Elles ne possddaient que quelques pence dens leur poche, mats elles ponsaient n'avoir qu'i rester l bien sagement La jeunecomtesse de Tdba, avec sa sceur, on bdau-frre, ses cousins les-Alcanices et quelques amis avaient dtd chasser sur les terres du duc d'Albe. On avait eu beau les prdvenir que des insurg!s se cachaient dans les environs, au lieu de ddtourner les chasseurs de leur projet, l'attrait du danger doubla leur plaisir et la crainte de trouver les routes ddj. battues par la police hta m6me leur ddpart. Apr/s la premiere journde, la joyeuse troupe s'arr6ta au chateau de Romanille pour s'y reposer pendant la nuit. Succom- bant h la fatigue et . la chaleur, tous dormaient profonddment quand, vers deux heures du matin, ils furent rdveillds par des coups frappds k la porte et des cailloux jetds contre les fen6tres... Deux gardes les avertissaient que Pimentero, alldchd par la perspective d'un riche butin et par la rdunion d'aussi illustres personnages, avait rduni ses hommes pour capturer amazones et cavaliers auxquels du reste il aurait rendu tous les honneurs qui leur dtaient dus, en les cotant trs haut et en exigeant une ranc.on digne de leurs excellences. Pimentero dtait campd avec sa bande dans la forgt voisine et devait commencer ds l'aube le sige du chateau : si on n'dtait pas disposd . lui abandonner armes, provisions, et peut-6tre la vie, il n'y avait pas de temps . perdre. Tous se jetbrent . bas de leurs lits et se v6tirent en un instant sans bruit et sans lumire pour ne pas donner l'dveil. Le duc et ses amis descendirent aux dcuries pour seller les chevaux, tandis que les jeunes femmes b0ucla[ent les valises et les attachaidnt sur le dos des tnules avec des courroies. Une porte secrbte fur entr'ouverte, menant dans la for6t, et route la troupe encore ensommeillde se mit en route silencieu- sement,- per arnica silentia lunae, -- se fiant i la vitesse des chevaux et aux ombres de la nuit pour dchapper aux bandits qui se paraient de la cocarde carliste. Pendant route la journde, on traversa bois et montagnes sans reprendre haleine. Le soir seulement on atteignit un village oh l'on espdrait passer la nuit, mais les habitants avaient !td ddsarmds rdcemment par une mesure de police et ils refusrent de recevoir ces hbtes compromettants. (, Vous nous attireriez les insurgds qui vous poursuivent, leur rdpondit-on avec effroi; nous n'avons pas de parti politique, mais nous voulons la paix : allez coucher ailleurs... , L ENFANCE DUNE $OUVEIAINE. -- Pour qui 16s r6serves-tu ? lui demanda-t-elle. -- Pour vous et pour votre sour. -- Eh bien, donne-les moi! -- Oh! ce n'est pas ainsi que je l'entends. -- Et comment l'entends-tu? -- Si jamais vous 6tiez sur le point d'6tre prises par ces bandits, plu, t6t que de vous laisser tomber vivantes entre leurs mains, je vous tuerais routes les deux. -- Oh non, par exemple! S'6cribrent les jeunes femmes, plus effrayies sans doute par la dfense menaante du trop fougueux gardien qu'elles ne l'auraient (it(i par les attaques du galant bandit. -- Et tu n'aurais pas de remords de ton double meurLre ? -- Je n'aurais pas le temps d'en avoir, car avec la troisime balle que j'ai en r(!serve, je me ferais sauter la cervelle. Le zSle du farouche serviteur montra la gravit(! de la situa- tion  la bande joyeuse qui r(isolut de mettre fin  la piril- leuse escapade : commenc(ie par une pattie de plaisir, cetto chasse menac.ait de se terminer en tragddie. . On se sentait serr(i de si prbs qu'on ddsespdra de gagner ddsormais la frontibre du Portugal, et l'on dut se rdsigner t entrer dans Burgos, malgrd le risque d'y 6tre fair prisonnier par la bande de Pimentero. Mats, contrairement t route prdvision, les fugitifs trouvbrent la ville fortifide et arm(!e pour la r(!sistance,--les portes se refermbrent sur eux et, rdduits aux abois k leur tour, les insurg(!s restbrent dehors et durent enfin renoncer . la poursuite. A quelque temps de lh, pendant que l'on recherchait encore Pimentero dans les montagnes de l'Andalousie, le grand chef so montrait t Madrid : il sonnait tranquillement t la grille du palais de Liria et se faisait cr.nement annoncer au duc d'Albe. Le bandit, admis aussitbt en prdsence du grand seigneur, lui demanda de prdsenter ses hommages aux vaillants chevaux que n'avaient pu atteindre ses mules, malgrd leur vitesse renommde. Le duc lui fit galamment les honneurs de ses 6curies et ne songea pas un moment t ddnoncer t la police celui qui l'avait fair courir pendant quarante jours et quarante nuits. Mats l'alcade aux aguets avait cru voir entrer Pimentero chez d'Albe et lui demanda de le lui livrer. Le duc avertit le brigand pour  IEVUE DES DEUX IONDES.. L'infirmire se pencha sur l'homme k la barbe. -- ll va s'dveiller, je vous laisse. Campion consid6ra de nouveau l'inconnu; son regard se porta sur la main hfilde, couverte de cicatrices, aux doigts noircis du bout, aux ongles cass(!s. C'6tait la main de George, la main de son ills, enfl(!e, d(!formde, mats que le p/re ie pouvait mdconnaitre !... II se mit  genoux et y posa les l/vres. Qu'est-ce que vous avez ressenti d'abord? lui delnanda plus tard Adble Anthony. -- Rien... -- Out, au premier moment, je sais; c'est toujours comme cela. Mats quand x ous avez recommenc6 h sentir quelque chose ? II r(!fldchit, puts dit avec lenteur: -- Une impression de changement. -- De changemcnt en lui? -- En lui, dans la vie, dans tout. Miss Anthony demeura perplexe. -- Quelle esp/ce de changement ? -- Un changement total. Elle dut se contenter de cette explication. Ce sentiment, Campion l'6prouva d'abord quand l'homme t la bathe, entr'ouvrant les paupibres, le rcgarda d'un regard lointain avec les yeux de George, et lui tendit d'un gesie faible la main de George. Au moment m6me oh il reconnaissait son ills, il sentit que le ills qu'il avait connu diait perdu pour toujours. Les lbvres de George remuaient. Campion se pencha sur lui: peut-tre parlait-il pour la derni/re fois. J -- Mon vieux papa.., en auto? Campion fit un signe affirmatif. George continuait d'examiner son p/re du m6me regard lointain. --Celui de l'oncle Andy? Campion fit encore out de la t6te. -- Et mre... ? -- Elle va venir aussi, bientSt. Un sourire malicieux plissa les lbvres de George. -- I1 faudra d'abord que je me fasse raser, dit-il, et il s'assoupit de nouxeau, sa main dans celle de Campion... U FILS AU FRONT. ' --Et l'autre monsieur... ? demanda l'infirmire le lendemain matin. Campion avait passd la nuit t l'hbpital, dtendu sur le plancher devant la porte de son ills. C'6tait contraire aux r/glements, mats pour une fols, le major avait ferm6 les yeux. Quant h Mr Brant, Campion l'avait si bien oublid qu'il ne comprit pas d'abord ce que l'infirmi/re voulait dire. Puts il se souvint tout d'un coup de son compagnon de voyage. L'infir- mitre expliqua que Mr Brant dtait venu tris tSt  l'hSpital et qu'il attendait en bas depuis deux heures. Campion se remit sur ses jambes et descendit. Dans le vestibule, le banquier, trs pMe, mats lisse et net comme i l'ordinaire, arpentait patiem- ment le dallage boueux. -- Moins de tempdrature ce matin! lui cria Campion. -- Oh! balbutia Mr Brant pMissant et rougissant tour k tour. Campion fit un effort pour continuer la conversation. -- I1 vous a demandd. Montez le voir, mats ne restez pas plus de quelques minutes, voulez-vous? II est trs faible. Mr Brant demeura immobile et raide, sans rdpondre, atten- dant que l'autre le prdcddt. Campion s'aper(ut qu'il avait les yeux mouillds ; il eut pitid de lui. -- Dites-moi " off est l'h6tel ? A deux pas .9 Alors j'y vats, le temps de faire un bout de toilette pendant que vous serez avec lui, dit le pre ave une gdndrositd dont il espdrait que le ciel lui tiendrait compte. --Merci, dit simplement Mr Brant, en se dirigeant vers l'escalier. --Cinq minutes, pas davantage ! lui recommanda Campion, et il se hata de sortir dans Fair matinal que le canon continuai! d'dbranler. Quand il revint, reposd, prdsenlable, il fur surpris et un moment inquiet en constatant-que Mr Brant n'dtait pas en bas. (( I1 va faire augmenter sa fivrel Le diable l'em- porte! ) Campion grimpa l'escalier aussi rite que son infir- lnit(! le lui permettait. Mats, devant la porte de George, il aper(:ut une mince silhouette qui mon/ait patiemment la garde. -- Je ne suis mme pas restd cinq minutes. J'attendais pour vous remercier. -- Je vous en prie I -- Campion se rut, puts fit un suprgme effort.  Comment le trouvez-vous ? UN FILS AU FI'tONT. 09 costume d'infirmire. Campion jugea cela d'abord un peu thdA/ral, puis se rappela comben il dtait plus facile de circuler avec un uniforme quelconque. I1 n'y avait d'ailleurs.pas trace de coquetterie dans sa raise. La coiffe blanche faisait k son visage pale et sans poudre un cadre dur qui la vieillissait; en la voyant descendre de voiture, il pensa i unz de ces religieuses jansdnistes, dmacides par la pdnitence, comme on en voit dans les toiles grises de Philippe de Champagne. Campion la conduisit  la porte de George : -- Prenez garde de ne pas faire monter sa tempdrature; il est trs faible.. Elle inclina la t6te en silence et entra. XXVII Ce soir-lk George parut plutbt mieux, et sa tempdrature ne monta pas. Campion dut rdprimer un mouvement 'de jalousie en constatant que lavisite de Julia n'avait pas fair de mal k son ills. Le mdtier d'infirmire lui avait donnd une certaine habitude des malades et ddveloppd en elle la. maitrise de soi : avant la guerre, si George avait (!td victime d'un accident grave, elle efit did plus encombrante qu'utile. Ce changement, que Campion fur forcd de reconnaitre, ne le rapprocha pas d'elle. La manire dont elle aimait leur ills diffdrait trop de la sienne. Maintenant, lorsqu'Anderson Brnt et lui se trouvaient ensemble, Campion avait le sentiinent qu'ils pensaient tous deux aux m6mes choses de la m6me fa(on. Au lieu que le visage de Julia, m6me vieilli et adouci par le chagrin, lui demeurait fermd. Mr Brant avait jugd plus discret de s'effacer. Campion le chercha en vain dans les alldes du parc et sous les arceaux du cloitre ; il resta introuvable jusqu'au diner, qu'ils prirent tous tis de bonne heure avec le persdnnel mddical. Mais ils ne restirent pas longtemps a table et, une lois le repas terminal, Mr Brant s'esquiva de nouveau, laissant sa femme et Campion en tte-k-tte. Campion le regarda partir avec dtonnement. -- Pourquoi s'en va-t-il ? Mrs Brant parut aussi surprise par cette question que Campion par le ddpart du banquier. 812 nvu. ).s )ee'x o.)Es. Campion posa la lettre. Elle contenait tvop de choses pour qu'il pfit .se.-les..assimiler d'un coup. Il prouvait,.comme chaque fois qu'il dtait foriement dmu, le ddsir d'etre seul, par-dessus [out d'etre, loin de Julia. Mais Julia le retint par l'insistance de son regard. " Ddsirez-vous garder cette lettre ? demanda-t-il enfin, en poussant le papier vers elle. - -- La garder? .Une letire crite -cette femme ? Je l'aurais reavoyge immddiatement, .mais Anderson n'a pas voulu... Quand on pense  la faqon dont elle s'est imposde chez moi, dont elle vous a fair peindre son portrait l Tout s'explique. Aviez-vous aucune idde de ce qui ce passait? Le peintre secoua la t6te. A voir l'air soulagd de Julia, il comprit que ce qui l'avait surtout fair souffrir, C'dtait la crainte d'avoir did laissde en dehors d'un secret de George, tandis que lui-m6me y avait part. -- Adble ne savait pas non plus, lui dit-elle avec une dvidente satisfaction. Campion se rappela comme il avait did frappd par l'accent de sincdritd de Miss Anthony affirmant qu'elle ignorait oh George avait pass6 sa dernire soirde : il c0mprit le sentiment de sa femme. -- Aprs tout, ce n'est peut-6tre qu'un flirt, une amitid sen- timentale, hasarda-t-il. -- Un flirt? -- Le visage de Julia perdit son expression de Mater Dolorosa pour prendre un air d'expdrience todt mondain. --Une amiiid sentimentale ? Avez-vous jamais entendu George prononcer son nora, ou faire la moindre allusion  une telle amitid ? -- Non, je ne crois pas qu'il m'ait jamais parl6 d'elle. -- Eh bien alors... Une fois de plus, le regard de Mrs Brant sembla prendre la mesure de la .perspicacitd de Campion. Le silence .obstind de George, le soin avec lequel il vitait mme de dire qu'il connaissait les Talkett, donnaient bien l'impression que la chose lui tenait  cur. Au souvenir du ton de la conversation chez les Talkett,. Campion eut-:un sursaut- d'indignation plus. violent encore que-celui de Mrs.Brant; mais il se-lut, retenu " parla .crainte de se mler des affaires personnelles de-son-fils; _ et par le sentiment que tout dtait sacrd de ce qui concernait cet tre-encore mystdrieux, couchd la haut dans un lit blanc. I1 tira de son carnet deux feuilles de papier plies et en tendit une  Campion. -- Merci. Et les deux hommes se serrrent la main dans le brouillard. Mr Brant continua sa promenade, et Campion regagna la cellule blanchie  la chaux qu'il occupait. Abritant de la main sa bougie pour emp6cher le moindre rais de lumire de filtrer k travers los volets, il relut le rdcit de la blessure de George copid d'une dcriture contrainte et tremblde, celle d'un homme qui ne prenait jamais la plume que pour signer chaque jour un paquet de let/res dactylographies. La copie (  la main , d'une let[re par Mr. Brant reprsentait quelque chose d'analogue au pieux labeur accompli par un moine en calligra- phant une page de missel : ce ddvouement toucha Campion. Quant h la leltre, il ne l'eut pas plutSt relue qu'il oublia que c'diait un message d'amour adressd k Mrs Talkett sur la demande de George; il n'y vii plus qu'un glorieux tdmoignage de la bravoure de son ills. Pour la premiere lois il comprit que, depuis le moment oh George. avait did blessd, il n'avait jamais, dans son esprit, diabli de lien vdritable entre son ills-et la guerre, jamais rfldchi h routes les pensdes inconnues, aux rdsolutions, aux acres qui l'avaient conduit, rant de mois auparavant, de l'Argonne au front. Ces choses, Campion les avait inconsciemmen[ chassdes de son esprit, ou les en avait laissd soffit. I[ savait que, peu  peu, elles reviendraient s'emparer de lui. Mas, en attendant, il demeurait uniquement occupd par la prdsence ma[drielle de George, par les indices physiques de son Oat, sa faiblesse, sa tempdrature, sa douleur au bras, son oppression au poumon, --tous les ddiails quotidiens impliquds 4ans l'effort de le ramener lentement h la vie. " I1 mit la lettre de cStd, comme on met de cStd une chose qui vous touche trop pour qu'on la juge. Plus [ard, oui. Pour le moment tout ce qu'il savait, c'dtait que son ills dtait vivant. Mais l'heure du triomphe de Campion sonna deux ou trois jours aprs, lorsque George lui demanda soudain : -- Avoue-le, papa, quand j'ai changd de rdgiment, j'ai fair ce q ue tu avais toujours esp(!r(! ? C'tait, de part et d'autre, la premiere allusion k la fa(ion 818 EVUE DES DEUX MONDES.. XXVIII -- Preparednessl cria Boylston avec exaltation. Sa figure ronde et brune, avec sa cr6te bouclde, ses yeux 'scrutateurs de myope, rayonnait sur Canpton dans le bureau du Palais-Royal; et du coin oh elle s'dtait laissde tomber sur un des divans aux ressorts cassds, Addle Anthony rdpdta en dcho : Prepare&ess ! C'dtait la premiire fois que Campton leur entendait pro- noncer ce mot; mais il le sentait dans l'air depuis son retour Paris avec George. II se souvint d'avoir remarqud, le jour m6me de son arrivde, qu'il y avait quelque chose de changd en ses deux amis. Lorsqu'ils entrrent dans la petite chambre encombrde de fleurs, i l'hbpital voisin du Bois off George avait dtd conduit, ils avaient l'air de possdder en commun un secret si important que leur joie de retrouver George paraissait tre seulement le trop-plein d'une joie plus profonde. Maintenant, au bout de quelques semaines, tout s'expli- quait par le nouveau cri de Boylston: Preparedness, soyons prtsl L'Amdrique, de l'Est  l'Ouest, s'dtait emparde de cette parole magique avec cette ardeur imprdvue qu'elle met k se j'eter sur une idde nouvelle. Pattie d'un petit groupe d'esprits dclairds, la contagion avait gagnd, comme un feu dans la brousse, balayant routes les autres phrases k la mode, les ddvorant dans une immense flambde de col6re, d'enthousiasme et de ddcision. L'Amdrique entendait 6tre pr6tel D'abord, il y avait eu la crt!ation du camp d'entrainement de Plattsburg, que le Gouvernement avait fin par autoriser  contre-cceur, aprs de longs ddlais et des difficultds sans hombre. Puis, comme les volontaires aflluaient (route la jeunesse des ltats de l'Est ayant rdpondu k l'appel), d'autres camps rapidement 6rganisds s'dlevaient en Gdorgie, en Illinois, en Californie. La torche allumde aux abords de l'Atlantique dclairait ddjh le Pacifique de sa lumi/re. Pendant des heures d'affilde, Campton entendait Boylston par- ler de ces camps d'entrainement avec les jeunes Amdricains l'aidaient dans sa tche, ou qui venaient lui demander un avis.. Plus que jamais, ' prdsent, Boylston dtait lc conseil et l'oracle do route cette jeunesse  qui manquait un guide, et qui ddpensait son UN F.S AC FnONT. 819 enlhousiasme pour la France en besogaes charitables de la plus humble espce : dtudtanis des Beaux-Arts ou de l'Universiid, jeunes gens de Ioisir, que dcourageait l'indiff(!rence de leur pays el qui se trouvaient atlir(!s vers la France par l'impatient ddsir de participer h une lutte off ils seataient que leur pattie, malgr! son (iloignement, serait fata[ement enirain(!e. Aucun d'eux n'avait (!prouv(!, comme Bean), Upsher, l'impd- rieux besoin  d'en Ire )) ds le ddbut, lls dtaient de ceux attendenl une direction, et Boylston la [eur donnait au moyen de ses ardentes variations sur ce grand thme :  Preparedness, Soyons pr.ts ! ,) George, couchd dans son lit, dcoutait en sou- riant : parrots, Boylsion lui amenait un ou deux candidats pri- vildgids. Un jour, Campion trouva lk le jeune Louis Dastrey, maigri et les traits tirds fi la suite d'une mauvaise blessure; il se prdparait  partir pour l'Amdrique comme instructeur., Sa prdsence leur donna l'impression que le mouvement qui s'opdrait pdndtrait jusque dans leurs vies. Campion pensa dans un dclair : Quand George sera debout, nous le ferons envoyer lh-bas; )) et un sentiment ddlicieux de sdcuritt! l'envahit. Pour l'instant, George se contentait de passer quelques heures par jour dans un fauteuil : sa blessure au poumon dtait lenie h se cicairiser et son bras cassd lent b. reprendre sa sou- plesse. Mats dans une quinzaine il trait terminer sa convales- cence chez sa mre. Cette idde dtait pdnible h Campion. Il avait fair route sorte de projeis extravagants: emmener George au Critlon, louer un appartement, ou m6me camper avec lui  l'atelier. Mats George les avait repoussds d'un sourire. Son intention dtait de retoarner avenue Marigny, off il avait toujours habit(! quand il venait .k Paris et oi sa mbre ddsirait l'avoir. Ad61e Anthony, un jour qu'elle quittait le Palais-Royal avec le peintre, lui fit remarque" combien ce ddsir dtait naturel, lls allaient ddjeuner ensemble dans un restaurant voisin, comme ils faisaient souvent en sortant dl bureau. Campion se mit b. parler de ce que ferait George une l'ois rdiabli : on pourrait sfirement lui trouver un poste dans un bureau k Paris, (( grace  l'infiuence de Brant. )) II ne se rendit pas compie qu'il pronon(ait cette phrase ddtestde sans l'ombre l'ironie; mats Addle s'en aper(ut; un ldger plisse- ment de ses lb, vres minces en avertit son ami. Il haussa les dpaules. BLAISE PASCAL. salt qu'il meurt, et l'avantage que l'univers a sur lui. L'univers n'en sait rien., ' Que l'homme s'examine donc sdrieusement lui-mme. A la lumire de cette pensde qui fair route sa dlgnit6, qu'il s'efforce d'dclaircir le mystre de sa destinde. I1 devra constater tout d'abord qu'il est comme le produit d'une double nature. En lui se sont donn6 rendez-vous tousles plus violents contrastes : k c6t6 des plus bas instincts qui le ravalcnt au niveau des btes fleurissent des aspirations qui le rapprochent des anges. , S'il se vante, je l'abaisse ; s'il s'abaisse, je le vante; et je le contredis toujours, jusqu' ce qu'il comprenne qu'il est un monstre incompr6hensible. ,, Mats comprendre cela, et l'avour, n'est rien; il faut en souffrir. Et la plus grande marque de la misre de l'homme est qu'k l'ordinaire il n'en souffre gu:e. I1 a trouvd le moyen d'dchapper  l'obsession que devrait gtre pour lui l'irritante dnigme de sa destinde ; il se divertit, et tout lui est bon pour ddtourner sa pensde de l'dternitd heureuse ou malheu- reuse qui l'attend. ,, Un homme dans un cachot, ne sachant si son arrgt est donnd, n'ayant plus qu'une heure pour l'apprendre, cette heure suffisant, s'il salt qu'il est donnd, pour le faire rdvo- quer, il est contre la nature qu'il emploie cette heure-l, non s'informer si l'arr6t est donnd, mais  jouer au piquet... C'est un appesantissement de la main de Dieu. ,, Et Pascal n'a pas assez de sarcasmes pour Cette indiffdrence ,, monstrueuse, ,, pour cette insouciance ,, surnaturelle. ,, ,, Cette ndgligence en une affaire oh il s'agit d'eux-m6mes, de leur dternitd, de leur tout, m'irrite plus qu'elle ne m'attendrit; elle m'dtonne et m'dpou- vante ; c'est un monstre pour moi. ,, Et de route son dloquence, de route sa passion d'homme et de chrdtien, il s'efforce de secouer et de troubler cette prodigieuse torpeur, et, dans ces ames, en apparence destitudes de route prdoccupation-supd- rieure, de rdveiller la bienfaisante inquidtude. A ces objurgations ardentes l'homme s'est enfin rendu. L'inquidtude l'a mordu au cur, et il consent  chercher. Pascal va lui servir de guide dans son anxieuse enquire. Tout d'abord, il l'adresse aux philosophes qui tous ont la prdtention de bien connaitre la nature humaine et d'avoir trouvd le souve- rain bien. Or ils sont tous en contradiction non seulment-les unsavec les autres, mais avec eux-m6mes. II n'est aucune idde,. si absurde ou si raisonnable, qui n'ait dtd, tour  tour, 866 EVUE DES DEUX MONDES. Son pbre, originaire de la Slovaquie de Hongrie, qui a ddpendu de l'ltat magyar jusqu'k la rdvolution d'octobre 1918, exer(ait alors  Hodonin le mdtier modeste de cocher (pour l'exploitation agricole) dans un domaine impdrial. Sa mbre, qui avait dtd en service  Vienne, appartenait  une famille hannaque de Moravie qui s'dtait un peu germanisde. Ainsi les dldments divers qui devaient entrer dans l'unitd de la Rdpu- blique se m6laient dans les origines, franchement populaires, de son premier prdsident oi se marque le caractre slovaque. Dans les rapports entre deux branches d'une m6me race, l'idda- lisme foncier et le type slave plus accentual du Slovaque s'oppo- sent au rdalisme plus pratique du Tchque qui a dtd influencd par la longue lutte contre l'Allemand. Le prdsident Masaryk se trouve tre, par sa naissance, sa carrire et sa position, le symbole vivant, l'agent naturel de la fusion tchdcoslovaque. II est frappant que, parmi les reprdsentants gdniaux de la race et les grands ouvriers qu'elle a donnds h la cause nationale, il y en air rant qui, comme un Saffarik, un Kollar, un Palacky, un Masaryk, se rattachent au rameau slovaque. II n'est pas moins digne d'observation que presque tous ces grands ouvriers, qu'ils soient d'origine tchque ou slovaque, sortent des milieux les plus humbles. Celui off M. Masaryk a vu le jour et off il a grandi, les conditions off il s'est formd, illustrent, comme un exemple typique, une sorte de loi dans l'histoire de la renaissance tchdcoslovaque. C'est dans les dcoles des villages off ses parents, h la recherche de moyens d'exis- /ence, fixaient leur rdsidence, qu'il montra de bonne heure sa rive intelligence. II frdquente deux ans une dcole supdrieure; voulant devenir instituteur, trop jeune pour entrer  l'lcole normale, il est stagiaire dans des dcoles primaires. On le voit dans un atelier de serrurerie  Vienne, puis dans la boutique d'un mardchal-feriant de Moravie. Entre temps, il s'est mis  apprendre seul le fran(ais; plus tard il dtudiera de mgme le polonais et le russe qu'il possddera vite  fond. I1 rdussit  entrer au lycde, alors allemand, de Brno (Brtinn) oh il se maintient i l'aide des letons qu'il donne; l'inddpen- dance de son caractre le force d'en sortir avant la fin de ses dtudes secondaires qu'il achve  Vienne. I1 y fera aussi ses dtudes universitaires qu'il compldt.era en Allemagne. II n'y avait lpas encore d'universit(i tchique . Prague. Aprs avoir passd LE PISIDENT MASARYK. 8"9 rclamant une nouvelle dlibration, des textes adopts qui lui semblaient d(!fectueux. Il n'a jamais perdu de vue l'ensemble en soignant les d(itails Ce qui le prdoccupe avant tout, ce qu'il ne cesse d'observer, c'est l'orientation g(in(!rale des esprits. Et l'on dirait que, pour lui, la premibre et la pls haute pr(!rogative de sa charge, c'est l'action qu'il pent avoir sur elle. On sent l'importance qu'il lui donne dans ses nombreux messages, dans tous ses discours, dans ses lettres qui sont publides. Rien n'y est insignifiant; tout vise un but cta une intention. On peut remarquer facilement que les qualit(!s du professeur qu'il a td subsistent dans ses messages et ses discours d'au- jourd'hui. Mats il a dlargi son auditoire; il s'adresse  la nation. Ce professeur dtait d'ailleurs aussi exempt que possible de tout pddantisme livresque; c'est en faisant pdndtrer la vie et l'observation dans ses lemons d'alors qu'il sdduisait et attirait. La sociologie appliqude, qu'il semble encore enseigner du haut de sa chaire prdsidentielle, est autre chose qu'une discipline thdorique; elle aun but direct, un in[(!rt imm(!diat d'ordre pratique. La politique du prdsident Masaryk tient  garder un caractre scientifique; on est frappd davantage de ce carac fibre moral qui chez lui domine tout. Il y a, chez ce chef d'Etat ddmocrate, une simplicitd de manires et de langage qui est charmante. Elle s'allie  une distinction naturelle qui se d(!gage de sa personne et qui ne l'est pas moths. Elles tranchent un pen sur le ton et l'allure des (( politiciens  de tous les pays, sur les formes qu'on n'est pas trop choqu(! de rencontrer parfois dans des milieux off elles s'expliquent par les ascensions rapides pour les peuples et pour les individus. Cette aristocratie instinctive d'un champion aussi convaincu de la ddmocratie, sorti des rangs les plus humbles est celle que l'dtude et la rflexion laissent  un homme de pensde qui n'a pas dddaignd la vie, qui n'a jamais cess(i de pra- tiquer l'observation en mme temps que les livres et les iddes, en qui le sentiment de la supdrioritd intellectuelle s'est toujours subordonn(! au souci et  la prdoccupation des valeurs morales. Il rdside presque route l'ann(!e au chhteau de Lany,  pros d'une heure d'automobile de la capitale, oh il a le calme et la libert(!, la facult(i de se livrer  l'exercice qui est ndces- saire  sa santd. Il rend des visites  tel ou tel point du pays. 890 IEVUE DES DEUX MONDE$. resLe peintre du roi intrus, comme il avait (it(! peintre du Bour- bon; il fair son porLraiL, celui des nouveaux dignitaires. M6me bient6t, et cette fois la mesure est comble, il'consent avec llaella et Napoli  faire partie de la commission chargde de choi- sir dans les collections royales cinquante des plus beaux tableaux, destinds au Louvre. Nulle excuse sans doute, qua |e malheur des temps, eL, avec on ne sait quelle inconscience d'artiste, le souci des travaux habituels, le besoin de la Cour qui le fair vivre, l'accouLumance au thdhtre de ses succbs et de sa gloire. Chose dLrange d'ailleurs, quand son caracire s'abaisse, son gdnie s'dlve; ce soumis, tout d'un coup, se rdveille patriote. L'annde m6me de l'invasion, il peinL deux grandes toiles pour immortaliser le peuple en rdvolLe au 2 mai 1808, les misdrables fusilles le lendemain matin, en chttimenL de leur h!roisme, par un vainqueur impitoyable ; il rachte par des pages sublimes sa conduiLe humilide. On sait comment le peuple de Madrid, transportd d'incom- prdhensible enthousiasme pour le jeune Ferdinand VII, son roi de la veille, roi trs faux, trs b6te et trbs mdchanL, comme disait Napoldon, ou plut6t soulevd par la haine instinctive de l'(!tranger envahisseur, lorsqu'il apprit que Murat faisait partir pour Bayonne la reine d'lLrurie et tout le reste de la famille royale, s'assembla en grondant autour des voitures, et brus- quement, au bruit d'un coup de feu, assailliL en rdvolte furieuse les mameluks et les dragons massds  la Puerta del Sol. On sait aussi comment Murat dompt,a et punit l'dmeute. Goya, sur une grande toile de 2 m. 66 sur 3 m. 45, a peint cet assauL  la cavalerie de Murat. Le Dos de Mayo a des qua- litds de premier ordre, mais, ayons le courage de le dire k l'encontre de l'opinion presque unanime, il a bien des faiblesses. Le grand colorisLe n'a pas ddfailli, l'observateur et l'interpr/te de la rdalitd et de la vie donne encore ici plus d'une preuve de la sfiretd de son regard et de sa main. Mais, si la confusion convient h une scbne de rdvolte et de bataille, la composition n'en est pas moins un peu creuse eL vide; les chevaux des mameluks et des dragons sont ddtesLables, tout  fair hors de la nature et de la vdritd ; ils font dans le tableau de grandes taches bien facheuses. Le mameluk ddsar(:onnd qui tombe en arri/re, raide comme un mannequin, n'est en effet qu'un mannequin, de superbe couleur, il est vrai'_, l'Espagnol qui va 906 REVUE DES DEUX MONDES.. commencement de septembre 1923, non seulement d'exiger le paiementdu charbon en or, mats encore de majorer le prix dans le cas oh le paiement ne serait pas imm(!diat. De routes les marchandises, la plus demand(!e est la monnaie 6trangbre . laquelle, par une sorte d'ironie du sort et de juste chtinent de leur mauvaise foi, les Allemands s'attachent ddsesp(ir(!ment, comme le naufragd  une planche de salut. En uae sdauce de quelques heures, le 4 septembre 1923, lo prix de la livre sterling a passe! de 60 i 80, puts 100 millions de marks. La Rh(!nanic, sp(icialement les maisons de Cologne, achetaient routes les devises (itrangbres que les Allemands appel- lent  nobles, )) c'est--dire celles des pays dent la monnaie a conserv(i sa valeur entibre ou presque entibre par rapport h l'or; les demandes ne provienncnt d'ailleurs pas seulement de l'Alle- magne occup6e, mats aussi du restant de son territoire. Les particuliers, comme les sectOr(is, ont pris l'habitude, ds qu'ils ont des marks disponibles, de les transformer en valeurs dtran- gbres, ce qui a naturellement pour effet d'acc(!ldrer la dpr(!- ciation de la monnaie indigbne. Jamais la hausse des devises n'avait atteint la proportion qu'elle a prise dans ces prcmibres journdes de septembre 1923. L'Allemagne occidentale semble s'6tre tout entibre prdcipit(!e sur le maigre r(!servoir de changes qui existait  Berli'n. Ue seule maison de Cologne a rdclamd 300000 livressterling. La Rcic]sbak a rdpondu qu'elle ne pren- drait pas en considdration les demandes supdrieures  100 000 li- vres. Elle ne servit d'ailleurs qua jusqu'h concurrence d'un demi pour cent les demandes de 10000 . 100000 livres, et de 5 pour 100 les demandes moindres.  Nous sommes h la veille, en ce qui concerne les devises, dcrivait un journal allemand, d'un (!tat de sige dans route sa rigueur. , De semblables mesures achvent de ruiner le marchd des changes, qui ne mdrite m6me plus ce nora. ( Un marchg n'existe, (!crivait ces jours-ci un journaliste berlinois, qu'. la condition qu'il y air offre et demande, 6manant de milieux divers. Maintenant, sur le marchd officiel, nous sommes en prdsence de demandes nombreuses, alors qu'il n'y a personne du cStd des offres, saul la Reichsbank, qui n'agit qu'avec la plus extr6me par- cimonie. )) Le m6me (!crivain attirait l'attention sur ce fair que la multiplication du papier donne chaque jour aux. acheteurs des forces nouvelles et acc(!lre la hausse des devises (!trangres.. 908 IEVUE DES DEUX MONDE$. d'une hausse de 21 pour cent et ont atteint l'indice 9699 886. Les combinaisons les plus inattendues se font jour. Voici une banque qul constitue son capital en m(!tal. La ( Soci(!td de banque  valeur fixe pour le Sud de l'Allemagne ,, se cr(!e  Stuttgart avec un capital de 100 kilogrammes d'or fin. Elle gmet des obligations dont les int(!rts sont calcul(is sur la base d'un gramme de m(!tal jaune dquivalant  2,'9 marks or ou 66 cents des ]tats-Unis. Ailleurs, les obligations, au lieu d'etre dmises en or, le sont dans une marchandise d(!termin(!e. La ville de Marburg emprunte sous forme de certificats de bois; celle de Berlin !met un .emprunt libell! en c(ir!ales, imitant en cela le Gouvernement des Soviets russes; ceux-ci en effet, ds 1922, avaient cr(!(i des obligations correspondant i 10 millions de pouds de bh!, et, en 1923, ils en cr(!rent pour 30 millions de pouds, soit g00000 tonnes de bld. Ailleurs, nous voyons des emprunts potasse, charbon, chanvre : l'obligation de 100 kilo- grammes de sels de polasse rapporte un int(!rt annuel de g kilogrammes de cette marchandise, payable  l'(ichdance au cours alors pratique! sur la potasse : ce cours pouvant diff(irer de celui qui !tait cot(! lots de l'(!mission du titre, les J]uctua- lions de ce denier seront d!termin(!es par celles de la denr!e qui lui serf de base, plus que par les variations de crddit de l'emprunteur, comme cola cst le cas dans un r(!gime mon(i- taire normal. De tous les cSt'ds, emprunteurs et prteurs (!prouvent l'impdrieux besoin de se ddgager du mark, qui n'est plus qu'un mot, un souvenir de ce qui fur et ne reviendra plus, et d'asseoir leurs transactions sur une base solide, soit le m(!tal, soit des marchandises de grande consom- marion . celles-ci ne prdsentent pas tous lcs avantages des mtaux pr!cieux, mats du moths incarnent une valeur et ne sont pas expos(!es  une d@riciation totale comme le billet inconvertible. Une lot allemande a autorisd la constitution d'hypothques, pour lesquelles la somme  payer consistera en une quantitd d(!termin(!e de seigle, de bl!, de m(!tal fin,' de charbon, de potasse, d'autres marchandises, ou de prestations. C'est la substitution, pour le Credit foncier, des comptes en nature aux comptes en monnaies. Des difficult!s inextricables naissent mme pour l'exdcution de mesures antdrieures, sur lesquelles on est oblig(i de revenir. 916 Bvu DS DUX rOrDS. I1 n'y a donc lt aucun motif de ddpr(!ciation pour le franc. Des trois causes qui l'influencent, volume de la circulation, solde du commerce extdrieur, situation budgdtaire, il n'en reste qu'une seule qui puisse agir dans un sens contraire, c'est la troisibme, i cause de la ndcessitd off nous sommes d'emprunter pour couvrir nos ddpenses recouvrables en vertu des traitds de paix ; mats la capitulation de l'Allemagne dans la Ruhr nous permet de penser qu'elle a compris la ndcessitd pour tile de tenir ses engagements et de commencer i nous payer ce qu'elle nous dolL. C'est la perspective de cet dvdne- ment qui a, dans la seconde quinzaine de septembre 1923, fair baisser les changes sur.la place de Paris, off la livre sterling, qui avait touchd un moment le cours de 83, est revenue  54 francs. Nous n'avons cessd, pour notre part, de prddire cette amdlio- ration, qui nous para!t encore bien modeste par rapport i ce qu'elle sera lorsque la vdritable politique financibre de la France apparaitra dans sa nettetd aux yeux du monde, trop souvent real informd  cet dgard. On montrait aux jeunes Spartiates des ilotes ivres pour les encourager  la sobridtd. Ne nous lassons pas de contempler les effets ddsastreux de l'inflation allemande. Sachons puiser dans ce spectacle les le(ons qui s'en ddgagent et qui nous garderont i tout jamais des sdduc- tions malsaines du papier-monnaie. 939 station, eta fortiori dans deux, permettent, par recoupement des eercles eorrespondants avee le premier, de savoir exactement, non seulement la distance, mais la position exacte sur la carte du centre eherch. I1 existe d'ailleurs un moyen ing(mieux; indiqu( nagubre par l'dminent sismologue russe qu'tait le prince Galilzine de d6duire des donndes d'une seule station,/ la fois la distance et la direction , (e'est-b-dire la position exaete)du.eentre sismique. Galitzine a remarqud et dtabli, en effet, que le premier dpla-- e ement enregistr par les appareils, la premiere onde, ronde frontale qui leur arrive, est dirigde exactement suivant le rayon sismique qui runit la station d'observation au centre sismique. Autrement dit, eette onde initiale se propage darts le plan ddtermin par la station, le centre sismique et le centre de laTerre. Or, il y a darts les stations eertains sismographes qui donnent la eomposante lord-Sud des branlements reus ; il en est d'autres qui donnent leur eomposante Est-Ouest. Les valeurs de ees eomposantes pour l'onde initiale, ddter- minent immddiatement la direction de ee plan, e'est-/t-dire la direc- tion du grand eercle terrestre sur lequel, d'un cdt ou de l'autre, et/ la distance ealeulde eomme nous avons dit, se trouve le centre d'dbranlement eherch.. Des deux positions ainsi trouves, laquelle est la bonne ? Pour le savoir, il suflit de eonsidrer les enregistre- merits fournis par un troisime sismographe, qui donne la eompo- sante verticale de l'branlement reu. Selon que le premier mouve- merit du sol h la station a (t vers le haut ou vers le bas, on en d6duit aussit6t, sans ambiguR(, laquelle des deux positions est la bonne. Le d(pouillement des sismogrammes obtenus au Pare Saint-Maur, le i " septembre dernier, se poursuit aetuellement sous la direction de l'd.minent sismologue qu'est M. Ebl(, et n'est pas encore terminal. Tout ce qu'on en peut dire, d'aprs les mesures d6jt faites, e'est qu'il indique que le sol, au Pare-Saint-Maur, a subi dans le sens lord-Sud et par rapport/t sa position d'quilibre, un ddplacement rdel d'envi- ton 0,7 millimbtre, et dans le sens Est-Ouest, un dplacemen d'envi- ton 0,6 millimibtre, ee qui correspond h des d.6plaeements totaux d'environ t mm , et t mm , darts les deux directions prineipales. C'est peu, si on compare eela aux branlements r(els que cause darts les rues oh il passe le moindre autobus. C'est beaueoup, si l'on songe que e'est lh ee qui restait encore, /t pr/s de t0000 kilomtres de distance, du mouvement subi par le sol du Japon., REVUE CHRONIQUE. 9 une dictature nalionaliste et l'on sentait approcher, t Berlin aussi, une erise politique. Le 27 septembre, le Gouvernement bavarois nomme Commissaire gndral d'ltat, avee pleins pouvoirs dietatoriaux, M. yon Kahr, chef du patti royaliste et nationaliste. C'est lui qui, t l'poque du coup d'ltat de Kapp, prit, le .17 mars 1920, la pr(sidenee du ministire bavarois; franeonien protestant, il est radversaire fi la fois des socialistes et de la d(moeratie national-socialiste des paysans de la Souabe dirige par l'agilateur Hitler; monarehiste, il est l'homme de eonfianee du prince hritier Ruppreeht; il est fd(raliste et eomme lel oppos aux execs du pouvoir central et a la propagande prus- sienne de Ludendorff. h rextrieur, M. yon Kahr a toujours t( hostile t la politique d'excution du traitS. La dietature, appuye par la grande masse du patti eatholique et par les populistes, signifie : concentration des forces bavaroises, t l'exelusion des agitateurs et des brouillons, pour une politique d'union nationale et de rsis- tance; extension de eette politique au Reich tout enlier; fd(ralisme  l'exelusion de route tentative de sparatisme et avee tendanee  une hdgmonie direetriee passant de Berlin/t Munich. Hitler et Ludendorffparlaient ouvertement de mobiliser leurs par- tisans et de marcher sur Berlin pour renverser un Gouvernement trop socialiste et trop faible en face de la France; la dietature de M. yon Kahr garantit M. Stresemann eontre ee pril. Tout se passe eomme si M. yon Kahr et le chaneelier Stresemann taient d'aeeord. Le m(me jour off. s'tablissait t blunieh la dictature de yon Kahr, avee l'tat de sige, le Chancelier eontiait t M. Gessler, ministre de la Reichswehr, le pouvoir exeutif avee la proclamation de l'lat de siSge et le droit de dlguer son pouvoir t un chef militaire qui serait le g(n6ral yon Seekt, l'adversaire de Ludendorff; les libert(s eonstitutionnelles sont suspendues; des prescriptions extrmement s(vres sont dietes eontre les fauteurs de dsordres; il est facile de eomprendre, t travers le texte des deisions du Gouvernement, qu_i est vis( par ces mesures draeoniennes : les eommunistes et surtout les sparatistes rhnans. De fail, la journ(eoSanglante du 30 septembre t Dusseldorf allait bient6t montrer les 'ritables intentions du Gouvernement de Berlin. Les partis sparatistes rhnans avaient organis6 pour ee jour-lt une grande manifestation; une cinquantaine de mille ersonnes, en majo- rit des paysans venus de tous e6tds par trains speiaux, encadrs de chefs portant des brassards galonns, portant des drapeaux vert. 96 IEVUE DES DEUX MONDES. blanc-rouge et escort,s de quelques dtachements d'auto-protection, . mal arm, set mal organisds, se pressaient sur l'avenue Hindenbourg autour de la statue de Bismarck oh MM. Dorten, Smeets et Matthes devaient prendre la parole. 0uelques bagarres se produisirent entre la police municipale et les sdparatistes; un agent, ayant tird le premier, fut tud; le calme tait compltement rtabli quand 200 schupos, arrives le matin me, me en automobiles, sortirent de la caserne voisine et, sans avertissement, ouvrirent  t00 mtres un feu bien iajustd sur la foule dsarmde : ce fut une fuite perdue, pour- suivie par les policiers verts, qui posment, tiraient dans le tas: les fuyards furent pourchasss avec une sauvagerie inouie par la police qui assommait les femmes et les enfants  coups de matraque, ache- vait les blesses; des prisonniers, entrains dans la caserne des schupos, furent cruellement maltraits. Cette scne de sauvagerie bien prus- sienne, destine  faire aimer par les Rhnans le Gouvernement de Berlin, ne prit fin qu' l'arrivde d'une patrouille de dragons franais et d'un dtachement de chasseurs alpins qui, ,pntrant dans la caserne des schupos, ddsarma et fit prisonniers sans rdsistance ces brutes dchaines. 1Nos soldats furent acclams avec un nthou- siasme incroyable, quelques schupos lynchds par la foule, d'autres sauvs  grand peine par les Franais. La rdunion put enfin conti- nuer; les orateurs rhnans fltrirent le gouvernement d'assassins et firent jurer  la foule de ne plus obir  Berlin. Le cara(tre de cette sanglantejournde off rapparut le  boche , de toujours, n'est pas douteux: il s'agit d'un guet-apens voulu et prpard par le Gouvernement pour frapper de terreur les sparatistes. Les autorits franqaises, mieux averties  l'avenir des mfaits dont est capable un Gouvernement allemand, sauront prendre les mesures prdventives ndcessaires pour assurer la scuritd de tous les citoyens et des troupes d'occupation. La presse allemande, le lendemain, dnaturant complitement les fairs, accusait les sparatistes d'avoir provoqu et attaqud la police. M. Stresemann, au Reichstag, le 6, a flicitd la police d'avoir fait son devoir! En France, l'Humanitd, le Populaire firent chorus avec la presse nationaliste allemande ; on chercherait en vain dans leurs colonnes un mot de .blame pour les horreurs commises par les schupos; ils en supprirent le rcit, et font retomber toutes les responsabilits sur les sparatistes  traitres  la patrie , et sur les autorits d'occupation.! Les morts de Dusseldorf sont les premiers martyrs de la cause rhdnane; ils ne sont pas morts pour riea ; dsormais la question rhdnane est publiquement